Critiques

The American

Anton Corbjin

par Bruno Dequen

The American est de loin le film américain le plus surprenant de l\’été. Alors que la bande annonce du film nous annonçait les aventures violentes et sexy d’un cousin de Jason Bourne perdu en Italie, ce second film du célèbre photographe Anton Corbjin (notamment réputé pour avoir su mythifier U2 dans les années 1980-1990) a plus à voir avec le Limits of Control de Jarmusch, et par là même un certain cinéma d’auteur européen de genre, qu’avec le tout-venant de l’usine californienne. Ne serait-ce que pour ça, le film vaut évidemment le détour. D’autant plus qu’en bon élève, Corbjin semble  suivre à la lettre les préceptes de ses maîtres. Récit elliptique sans événement majeur? Check. Mise en évidence d’une complexité psychologique ambiguë et opaque? Check. Paysage sublime semblant intéresser davantage le réalisateur que le récit de son film? Check.

Adapté du roman A Very Private Gentleman de Martin Booth, The American suit le récit toujours sympathique d’un tueur à gage et fabriquant d\’armes artisanales solitaire et silencieux en pleine remise en question existentielle alors qu’il se cache dans un petit village d’Italie et tente de faire son ‘dernier coup’. Le fantôme de Melville plane déjà. Ajoutons à cette belle sauce un George Clooney évidemment superbe dans un rôle taillé sur mesure pour ses rides grandissantes et son charme sans effort, et nous avons un thriller pour adulte tout à fait recommandable. Et c’est bien là le problème. Malgré ses bonnes intentions, Corbjin ne va pas assez loin avec une telle proposition. La direction de la photographie, très jolie, n’arrive pas à la cheville des sublimes mouvements déployés par Christopher Doyle chez Jarmusch. Le mutisme du personnage principal n’est finalement pas si profond et plutôt prévisible. Toutes les ambiguïtés sont finalement résolues et le spectateur sort sans question. Ne reste alors qu’un film plutôt lent, sans surprise et bien sous tous rapports. Vient alors une question inévitable. Mais à qui s’adresse un tel film? Les amateurs de Bourne vont hurler d’ennui. Et ceux qui s’attendent à un croisement entre Jarmusch et Wenders vont reprocher la trop grande clarté et l’évidence esthétique du film. Pas étonnant que le distributeur américain, qui doit être en train de paniquer, ait décidé de mettre le paquet sur les quelques secondes de pyrotechnie présentes dans le film pour promouvoir l’objet.

Malgré ces réserves, il serait dommage de ne pas mentionner deux éléments qui, à eux-seuls, font que le film mérite le détour. D’abord et avant tout, la sexualité. Si le développement d’une idylle entre le tueur et la prostituée au cœoeur d’or ne révolutionne pas le genre, la pure sensualité se dégageant des scènes entre Clooney et Violante Placido (quel nom tout de même!) et la représentation torride de leurs ébats permettent non seulement de donner un poids véritable à la relation entre ces personnages, mais aussi de nous rappeler à quel point une représentation franche, sans voyeurisme ni puérilité, de la sexualité est rare dans le cinéma hollywoodien actuel. Dans The American, le rapprochement physique entre deux êtres solitaires est un événement sérieux, et probablement le coeœur du film. Seule la crédibilité d’une telle attirance permet de justifier la détresse subite apparaissant dans le regard de Clooney lors d’un plan sublime qui restera longtemps en mémoire. Car ne serait-ce que pour ce regard, il faut voir The American.


2 septembre 2010