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Critiques

The Artist

Michel Hazanavicius

par Damien Detcheberry

Vous n’échapperez sûrement pas à The Artist, puisque le film de Michel Hazanavicius est bien parti dans la course au matraquage médiatique qui précède chaque hiver la cérémonie des Oscars. Dans son blogue, Aurélien Ferenczi a d’ailleurs évoqué la tambouille politique qui se trame derrière chacun de ces millésimes académiques. On en oublierait presque de parler des films, tant la presse s’enflamme sur la tension qui monte autour des favoris, sur les starlettes qui s’enivrent de paillettes et de rêves hollywoodiens. Les films, on ne s’en souviendra pas de toute façon. La période des Oscars fait à peu de choses près le même effet sur l’industrie hollywoodienne que les soldes de Noël sur le commun des mortels. Passée la frénésie des fêtes, vient le Boxing Day, le moment où l’on bazarde tout. Puis revient la morosité de l’hiver, où l’on ne sait plus quoi faire avec tous ces films sortis en même temps, et sur lesquels on mettait tant de promesses. Quel souvenir garde-t-on aujourd’hui du sympathique et oubliable Discours d’un roi ? Il était pourtant, il y a tout juste un an, sous les feux des projecteurs, à la place qu’occupe The Artist aujourd’hui.

Parlons cinéma, donc… Dans Midnight in Paris de Woody Allen, l’écrivain Gil Pender (Owen Wilson) souffrait du « syndrome de l’Âge d’Or », et se réfugiait dans le passé pour éviter d’affronter le présent. Dans le Paris des années 1920, il soumettait son projet de roman à Ernest Hemingway et à Gertrude Stein : l’histoire d’un homme qui tient une boutique de bibelots destinés aux nostalgiques du passé. The Artist trouverait incontestablement sa place dans cette anachronique boutique de souvenirs. À un détail près : la distance ironique qui faisait le sel du film de Woody Allen laisse place ici à un hommage révérencieux à l’époque du cinéma muet, réalisé « à la manière de », qui mise intégralement sur l’intemporelle force comique du slapstick et sur le charisme – intemporel lui aussi, reconnaissons-le – de Jean Dujardin, le plus Fairbanksien des acteurs français.

On pourrait en effet parler d’audace, en oubliant toutefois que d’autres l’ont déjà fait avant, en plus drôle (Silent Movie, de Mel Brooks) ou en plus profond (Juha, d’Aki Kaurismäki). En laissant de côté le soufflé médiatique qui entoure le film, on pourra à la rigueur apprécier The Artist pour ce qu’il est, un divertissement inoffensif, un honnête feel-good movie qui emprunte au cinéma hollywoodien ses recettes les plus efficaces, peut-être, mais aussi les plus conventionnelles : un peu de Chantons sous la pluie –- sans les chansons, forcément – –, un peu de music-hall, beaucoup de sentimentalisme et d’humour bon enfant. Le film se targue aussi d’un vrai moment de fantaisie lorsque, à l’aube du cinéma parlant, des sons synchrones vampirisent les rêves de George Valentin (Jean Dujardin), la star du muet réfractaire à la révolution sonore.

Hélas, passé cet interlude tapageur, qui laisse croire un instant que le film s’échappe vers une voie plus excentrique, l’intrigue reprend malheureusement son cours, poliment. On aurait espéré finalement que le parti pris esthétique soit irritant, ou au moins hors norme, outrancier, qu’il exaspère ou qu’il fascine. Au contraire, la démonstration est tellement soignée, le noir et blanc si satiné, que The Artist ne va jamais au-delà du pastiche sans aspérité, indolore et indolent. C’est d’autant plus regrettable que les hasards du calendrier font coïncider la sortie du film avec celle d’Hugo de Martin Scorsese, qui constitue un hommage autrement plus haut en couleur aux origines du cinématographe. En véritable passionné de l’histoire du cinéma, Scorsese a opté pour une célébration en trois dimensions, bruyante et chatoyante, et a transformé un conte pour enfants en déclaration d’amour à la magie du 7e art. En misant sur une reconstitution lisse et convenue des clichés du cinéma muet, The Artist mène peut-être la course aux palmes académiques, mais n’a décidément rien à dire.

La bande-annonce de The Artist:


8 Décembre 2011