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Critiques

The Boss of it all

Lars Von Trier

par Rachel Haller

Quand Lars von Trier annonce une comédie, il y a toutes les raisons de s’inquiéter. Surtout lorsqu’il spécifie dès son préambule, en voix-off, le caractère non pédagogique et non manipulateur de l’exercice. D’ailleurs, cette première distanciation, procédé didactique s’il en est (n’est ce pas Monsieur Brecht?), révèle déjà le paradoxe de l’entreprise. Il faudrait donc se laisser aller à la spontanéité du geste comique, tout en assistant à sa déconstruction. Déconstruction du genre et de l’objet poursuivie, de plus, jusqu’au terme du film.

Mais là ne réside pas la seule aporie de The Boss of it all. Cette spontanéité, cette «absence de prétention artistique», von Trier la poursuit de l’enveloppe jusqu’au noyau. Par le recours à une nouvelle technique de tournage: l’automavision, soit un ordinateur préprogrammé pour les prises de son et de vue (l’artiste gommé par la machine). Et par le sujet même du film, la fatuité d’un comédien et la manipulation comme processus de création. Mais d’un côté comme de l’autre, la flèche manque sa cible. Formellement, parce que le résultat est si haché et décadré qu’il devient impossible d’oublier la caméra (et le réalisateur) et d’atteindre la légèreté requise. Et sémantiquement, parce que von Trier nourrit l’absurde et le quiproquo (l’essence de la comédie) d’un débat théorique, ou plutôt d’une collision éthico-dialectique. Bref résumé: un chef d’entreprise véreux engage un acteur au chômage pour endosser le rôle du big boss et mettre à pied les employés. Lequel big boss n’a été pendant dix ans qu’une couverture fictive pour couvrir les malversations dudit chef. Scène d’entreprise contre scène de théâtre, rôle de directeur contre rôle d’acteur, manipulation sociale contre manipulation artistique… Comme toujours chez le réalisateur danois, l’angle est cinglant, le prolongement, assassin et la morale, un irrépressible carcan. Mais la démonstration et ses outils s’opposent fondamentalement à l’intention: la spontanéité et le rire.

D’ailleurs, cette discordance entre objectif et réalisation n’est pas nouvelle chez lui. L’épure du Dogme s’est parfois heurtée à ses limites stylistiques. Pour n’apparaître justement que comme un exercice de style et non comme un principe de réalité maximale (certaines scènes des Idiots). Ou la réduction du dispositif de mise en scène, magnifique tremplin dans Dogville, s’est avérée une entrave à la lecture de Manderlay. Peut-être parce qu’on n’a pu y croire une seconde fois. Mais jamais le procédé ne s’est autant opposé à la finalité, la comédie. Laquelle ne résiste ni au formalisme, ni à la rhétorique.

En bref, comme essai , c’est passionnant, mais comme comédie, c’est indigeste.


8 novembre 2007