The Bourne Ultimatum
Paul Greengrass
par Edouard Vergnon
La réussite de ce troisième volet des aventures de Jason Bourne est, disons-le, assez stupéfiante. Et ce ne sont pas les cinq premières minutes du film, enlaidies par des flash-back à l’esthétisme pompier, qui nous y préparaient. Elle devrait en tous cas faire date et donner un sacré coup de vieux à la logique commerciale fatigante et usée du cinéma d’action envisagé comme un divertissement mécanique sans gravité à laquelle obéissaient encore récemment Die Hard 4, et autres Mission: Impossible 3 et autres Casino Royale : dramaturgie en trois temps héritière des premiers James Bond qui, pour tenter de faire peau neuve, s’efforce d’assimiler un courant esthétique dominant (en général issu de la télévision). La superbe efficacité de The Bourne Ultimatum est le fruit d’un regard adulte : proposer un récit haletant uniquement constitué de filatures, lui donner une forme ambitieuse et moderne (c’est-à-dire autant esthétique que politique) et filmer la violence avec sérieux et non pas gratuité. Il nous est donc enfin permis de ne plus être nostalgiques des surveillances telles qu’elles étaient filmées durant les années 1960 et 1970, quand les cinéastes les montaient en peu de plans et veillaient toujours à dégager des impressions d’attente et de solitude. The Bourne Ultimatum en offre le véritable équivalent contemporain.
La mise en scène de Paul Greengrass est impressionnante en ce qu’elle nous immerge totalement dans l’action, mais la nervosité du filmage une fois n’est pas coutume n’en obstrue jamais la lisibilité. On reste ainsi toujours au plus près du point de vue de Bourne, tout en voyant la totalité du lieu et des dangers qui l’entourent. La multiplicité des plans, loin de faire diversion en créant une impression de vitesse totalement artificielle, devient dès lors la condition sine qua non du suspense : en nous donnant un maximum d’informations, le montage devient cette immense toile d’araignée dont l’histoire a besoin pour fragiliser son héros et exprimer simultanément la dérive totalitariste des États-Unis d’aujourd’hui. Ce que filme Greengrass, ce n’est plus tant une Amérique en proie à la paranoïa qu’un pays qui frappe aveuglément (le passant kidnappé à Waterloo Station) et pratique une violence vaine puisqu’elle n’aura même pas raison de la débrouillardise d’un seul homme. En creux, le film enregistre même la victoire momentanée des individus sur l’État qui les manipule : programmés pour se tuer, Bourne et son poursuivant finiront par se parler avant de se sauver mutuellement la vie. Quant à la violence, si elle reste brutale, elle est à cent lieues de l’obscène vulgarité d’un Casino Royale. C’est que Greengrass n’oublie pas de filmer le visage tuméfié des hommes mis à terre et notamment leurs yeux. À cet égard, le combat à mains nues qui clôt la course-poursuite sur les toits de Tanger est un moment extraordinaire. La scène d’une grande beauté visuelle s’achève sur le visage hébété et rougi par l’effort de Matt Damon, contrechamp que le cinéma d’action ne filme d’habitude jamais. Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, The Bourne Ultimatum est à marquer d’une pierre blanche.
3 janvier 2008