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Critiques

The Box

Richard Kelly

par Helen Faradji

Richard Kelly est-il le génie visionnaire le plus incompris du XXIe siècle (Donnie Darko)? L’arnaque cinématographique la plus déstabilisante jamais vue (Southland Tales)? Ou tout simplement un petit maître de l’angoisse contemporaine, capable de tendre des miroirs déformants particulièrement pervers dans lesquels observer le chaos qui nous sert du monde? Probablement un peu de tout ça. Son The Box vient en tout confirmer qu’il n’est certainement pas un auteur anodin.

La boîte. Comme celle déposée un jour sur le perron de la jolie maison de banlieue de Norma et Arthur en 1976. Celle surmontée d’un gros bouton poussoir rouge (Hal, m’entends-tu) et dont un type défiguré mais fort civil viendra expliquer le fonctionnement à la charmante épouse : poussez le bouton, un inconnu mourra et vous recevrez 1 million de dollars. Ne le poussez pas, reprenez votre vie normale et oubliez. Tu parles d’un choix.

Même en se concentrant bien, on ne pourrait exactement compter le nombre de mythes dont Kelly vient épicer sa grande tambouille fantastico-existentielle : des simples prénoms de ses héros, évocation d’un des couples les plus mythiques de l’Amérique artistique, à la découverte de l’espace menée en parallèle par la Nasa, de la lumière artificielle et blanche créée par Steven Poster, floutant les contours des objets et personnages, donnant sans cesse cette impression d’être dans un soap vantant les mérites des bonnes valeurs familiales et traditionnelles, à ces mille et une références à ce que la science-fiction et l’épouvante ont fait de mieux (2001, A Space Odyssey, The Shining, Elephant Man, Twin Peaks…) en passant, par une atmosphère paranoïaque généralisée de fin du monde, digne de la guerre froide ou par cette évocation de la sérénité du jardin d’Eden encore une fois perturbée par madame, vénale créature, de ça à ça, donc, en passant par ça et ça, Richard Kelly n’oublie rien de ce qui constitue, on le devine maintenant, les grandes lignes de son univers imaginaire.

Et c’est tant mieux. Car là où d’autres auraient pu se contenter de plonger tête première dans leurs références pour en ressortir trempés jusqu’aux os, Kelly y trempe son pinceau avec une certaine parcimonie, n’oubliant pas de composer son tableau en fouinant dans d’autres pots. Parmi ceux-là : celui offert par la nouvelle de Richard Matheson dont est tirée l’intrigue, mais surtout le pot de l’étrange. Ingrédient dont il avait fait le sel de son culte et génial Donnie Darko et qui revient ici prendre la première place de son cinéma. Si la construction du récit elle-même s’amuse déjà à déjouer habilement toutes nos habitudes pour retomber sur ses pattes par un dénouement habile et élégant, chaque élément du film semble également prendre un malin plaisir à distiller un effet d’étrangeté stressant et fascinant. Apparitions soudaines et effrayantes dans les images d’adolescents ou de père Noël aux intentions floues, saignements de nez intempestifs, handicap de Norma, mise en scène froide, comme en retrait d’un monde déjà en train de basculer et même jeux des acteurs (Cameron Diaz et James Marsden) paraissant constamment décalés : tout semble mis en place avec malice pour faire dérailler le ronron d’une normalité tout aussi étouffante. Seule la musique, parfois envahissante, souvent convenue (un comble lorsqu’on sait qu’elle a été composée par des membres d’Arcade Fire) vient perturber la prenante mélopée.

Entre scepticisme et naïveté, croyance en la bonté et misanthropie absolue, et tout inabouti qu’il puisse être, The Box vient néanmoins confirmer, sans doute possible maintenant, que le regard de Richard Kelly sur notre monde fait partie des plus intéressants et des plus originaux qui nous soit donné de suivre aujourd’hui.


18 février 2010