Critiques

The Conjuring 2

James Wan

par Alexandre Fontaine Rousseau

Le cinéma d’horreur est un cinéma de la foi. Il faut que le spectateur s’engage à « croire » en ces images qui lui sont présentées afin qu’elles puissent créer chez lui ce sentiment de peur qu’il espère ressentir. C’est une sorte de pacte, une entente signée avec le cinéma lui-même. Le film d’horreur renouvelle cette foi, l’entretient; il cherche toujours de nouvelles manières de la ranimer. En 1979, The Amityville Horror de Stuart Rosenberg disait s’inspirer d’événements réels; le public, séduit par cette idée, fit du film le deuxième plus grand succès de l’année au box office. The Conjuring 2 débute sur une relecture de ce fameux fait divers, nous invitant par l’entremise de cette référence au cinéma populaire d’une autre époque à renouer avec cette innocence perdue qui nous permettra de croire l’instant d’un film en ses propres fantômes. À l’instar de Guillermo Del Toro, qui le démontrait élégamment dans l’excellent Crimson Peak, James Wan comprend que le fantôme est la créature cinématographique par excellence, que spectre et cinéma, en quelque sorte, ne font qu’un.

James Wan est un metteur en scène d’exception. Sa caméra raconte constamment. Il n’y a rien de gratuit dans la manière dont elle se déplace, dont elle cadre les personnages et inspecte les lieux, transmettant par son mouvement même ce sentiment d’inquiétude s’enracinant et prenant insidieusement le dessus sur la raison. Elle possède une fluidité surnaturelle, une formidable capacité à charger le vide d’un potentiel irrationnel que l’horreur concrétise. Chez lui, c’est le cinéma lui-même qui ranime la foi; la caméra réaffirme son pouvoir inexplicable en même temps qu’elle resserre son emprise sur le spectateur. Elle-même invisible, elle semble animée d’une conscience propre; elle hante le territoire, devenant ainsi un spectre chargé d’en créer d’autres. La caméra de James Wan ne « montre » pas les fantômes; elle les incarne.

Il faut voir la maîtrise incroyable avec laquelle le cinéaste américain nous présente la demeure des Hodgson, la liberté avec laquelle sa caméra déplace notre regard à même l’espace pour nous permettre de le découvrir. Elle sillonne tel un présage les corridors de sa future maison hantée. Elle nous la présente celle-ci en nous annonçant, en insinuant ce qui pourrait arriver, ce qui va arriver; elle nous prépare, instille un doute. Chaque nouvelle pièce, chaque nouvel objet sur lequel elle se pose avant de parcourir de nouveau la demeure semble désormais possédé : la caméra se déplace tel un sortilège, enchantant le réel grâce à sa magie noire. Si le film fonctionne aussi bien, c’est qu’il prend le temps de préparer le terrain, s’assurant par le fait même de notre adhésion au pacte. Le spectacle peut commencer. Ed (Patrick Wilson) et Lorraine Warren (Vera Farmiga), les enquêteurs paranormaux du premier film, peuvent désormais s’atteler à la tâche d’exorciser de nouveaux démons qui hantent cette fois-ci une petite famille londonienne.

Un plan, en particulier, représente parfaitement cette patience, cette sobriété exemplaire avec laquelle Wan exploite son savoir-faire technique. Ed interroge la jeune Janet (Madison Wolfe), qui est possédée par l’esprit d’un vieillard ayant autrefois habité la demeure; le fantôme a accepté de se manifester, à condition qu’Ed détourne le regard. La caméra, fixe, cadre en avant-plan le visage de ce dernier; le foyer se fait sur celui-ci, réduisant celui de Janet à l’état d’abstraction dans l’arrière-plan. Au fur et à mesure que progresse la conversation, les formes se défont et se reforment, créant sans jamais l’expliciter l’impression d’une transformation. Le foyer ne se fait sur le visage de Janet qu’au moment où celui-ci revient à la normale, laissant ainsi planer un doute dans notre esprit; cette vision possède alors la qualité insaisissable d’une hallucination.

The Conjuring 2 est un film qui déborde, qui s’étend audacieusement sur la durée en assumant le risque de diluer son efficacité. Il prend tout le temps nécessaire pour s’attacher à ses personnages, portant une attention consciencieuse à la relation unissant Ed et Lorraine. Ce pari risqué d’oser le mélodrame fonctionne essentiellement en sa faveur, créant son lot de scènes incongrues comme celle où Patrick Wilson interprète à la guitare Can’t Help Falling In Love d’Elvis Presley au beau milieu d’un film qui, entre les mains d’un cinéaste moins confiant, ne se serait jamais permis de tels écarts. James Wan, au contraire, affirme son talent en allant à l’encontre de nos attentes; il sait qu’il possède un tel contrôle sur la situation qu’il peut prendre son temps, échapper un moment à la mécanique du genre puisqu’au moment d’y revenir, l’emprise de celle-ci sur nos sens sera suprême. On ressent d’ailleurs un plaisir particulier à le voir manœuvrer ainsi, en parfaite possession de ses moyens, visiblement conscient de notre foi en sa fiction.

La bande annonce de Conjuring 2


8 juillet 2016