The Devil’s Double
Lee Tamahori
par Damien Detcheberry
À l’instar des cerises, l’été marque le temps des canicules, des cigales et des blockbusters. Certains étés, ceci étant dit, sont plus réjouissants que d’autres. L’été 2011 restera ainsi dans les annales indéniablement comme celui du recyclage : de la vieille ferraille (Cars 2, Transformers 3), du bon vieux temps de la pellicule et des substances hallucinogènes (Super 8, Les Schtroumpfs) et des actrices hollywoodiennes arrivées au bout de leur sex-appeal (Larry Crowne). Heureusement, l’été est aussi, pour les studios, la douce saison de l’écoulement discret des fonds de tiroirs, et donc pour le spectateur le moment propice à la cueillette du navet d’été, encore trop vert en mai où les Palmes fleurissent, trop mûr à l’automne où pullulent les champignons et les films à oscars.
L’affiche seule de The Devil’s Double devrait guider les plus récalcitrants des glaneurs sur la piste du légume. L’or qui la couvre est massif, sans aucun doute, au même titre que le style de son cinéaste, Lee Tamahori, qui après avoir fait illusion le temps d’un film (Once Were Warriors), s’est reconverti prestement en maraîcher d’Hollywood (Die Another Day, XXX : State of the Union, Next). L’intrigue, elle, est plaquée grossièrement sur des faits réels, et sur la légendaire cruauté de la famille Hussein. À Bagdad, à la fin des années 1980, Latif Yahia, officier de l’armée iraquienne, est contraint de devenir la doublure d’Oudaï Hussein, le fils aîné de Saddam, et le digne héritier dans l’horreur de Scarface et de Caligula. Oudaï entraîne ainsi son double, son « fiday» dans un monde de démesure, de sexe, d’argent et de violence dont Latif ne sortira pas indemne Sea, sex, violence and sun : quand on vous dit que c’est un film pour l’été !
À propos de Scarface et de Caligula, si vous pensiez naïvement qu’Al Pacino et Malcolm McDowell cabotinaient chez Brian de Palma et Tinto Brass, vous n’avez encore rien vu ! Restons indulgent tout de même avec Dominic Cooper, qui échoue ici avec dignité dans deux de ses premiers grands rôles, puisqu’il lui incombe la lourde tâche de jouer à la fois le bipolaire mais néanmoins superficiel Oudaï Hussein, et l’insipide Latif Yahia. Afin de ne pas perdre le spectateur face ce vertigineux tour de force, l’acteur prend soin de différencier les deux personnages par de généreux indices de jeu : sourire niais pour le premier, sourcil froncé et regard d’acier pour le second. Soyez attentifs pendant le film, vous finirez par ne plus les confondre.
La réussite d’un authentique nanar hollywoodien tel que The Devil’s Double, pourtant, ne tient pas à la seule contre-performance de son acteur principal, certes souvent jouissive, mais bien à un ensemble de détails risibles, d’ambitions visuelles avortées, et surtout ici à un fond nauséabond de bonne conscience patriotique. On notera par exemple que le vrai Latif Yahia a participé à l’élaboration du scénario et que son personnage se trouve dans une autojustification constante face à la violence dans laquelle il évolue. Victime perpétuelle, il subit les affronts du monstre Oudaï dont la véritable barbarie n’est pas à débattre avec force et élégance, prouve sa bravoure par de discrets actes héroïques, et s’échappe finalement en trouvant grâce aux yeux de sa famille, qui se sacrifiera pour qu’il puisse raconter son histoire à l’étranger. À plusieurs reprises, les dissidents du régime prieront également pour la venue de sauveurs qui apporteront l’ordre en Irak et la justice sur la tête de la famille Hussein. À peine si l’on n’entend pas au loin le son de la cavalerie
Ainsi va la déconstruction médiatique, ainsi s’élabore la mythologie américaine : on se souviendra longtemps des images diffusées par le gouvernement américain quelques jours après l’assassinat d’Oussama Ben Laden, ces images pathétiques de l’ennemi public nº 1 devenu l’ombre de lui-même, regardant sa propre démesure passée à la télévision. The Devil’s Double, en assumant pleinement son rôle d’uvre de propagande américaine, démontre à son tour que si l’armée américaine tue sans procès, c’est toujours le ridicule qui achève les méchants. Pendant ce temps, au festival Fantasia, un vrai film fauché nommé Hellacious Acres The Case of John Glass, de Pat Tremblay, revisite volontairement, lui la série Z et en fait un hilarant film de série B, un peu comme si les Monty Pythons avaient pris d’assaut le tournage de Stalker d’Andreï Tarkovski. Pleinement conscient du regard du spectateur, le cinéaste se joue avec un talent fou du grotesque de chaque scène. Bourré d’inventions visuelles et scénaristiques, jubilatoire à plus d’un titre, Hellacious Acres prouve que les nanars ne sont jamais là où on pense les trouver. On y rit cette fois de bon coeur, et on retrouve la foi dans le cinéma de genre.
La bande-annonce de The Devil’s Double
4 août 2011