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Critiques

The Ghost Writer

Roman Polanski

par Helen Faradji

Une île prise dans la grisaille menaçante d’une tempête approchante. Un homme assemblant peu à peu les pièces d’un puzzle qui le dépasse complètement. Une femme, mystérieuse et dangereuse. De longs travellings brumeux et inquiétants. Ces mêmes déterminations qu’on aurait pu utiliser il y a quelques semaines à peine pour évoquer le dernier-né de l’autre enfant chéri des années 70, Martin Scorsese. Faut-il y voir une coïncidence? Probablement pas. Comme l’auteur de Shutter Island, Roman Polanski trouve la solution de repli la plus efficace possible face à l’appauvrissement généralisé d’un cinéma de moins en moins inspiré : convoquer le fantôme des grands maîtres (pour le clin d’œil, on s’amusera d’ailleurs de la présence furtive et émouvante dans ce Ghost Writer d’un des derniers piliers du grand Hollywood, Elli Wallach).

Premier à répondre à l’appel de ce vaudou aux allures d’exorcisme : Alfred Hitchcock dont l’ombre tutélaire ne cesse de planer au-dessus des deux thrillers d’exception. Mais Scorsese et Polanski ne sont pas de jeunes singes à qui l’on aurait besoin d’apprendre à faire la grimace. Dans les deux cas, la recette de l’oncle Alfred, maîtrisée sur le bout des doigts, est réinterprétée, aménagée, réactualisée par la grâce de mises en scène à l’élégance époustouflante et de récits à la mécanique diabolique. Pour Scorsese, ça aura été ceux de Vertigo, dont la spirale infernale est venue reprendre vie sous nos yeux ébahis dans un thriller aux allures baroques et vertigineuses. Pour Polanski, adaptant ici un roman de Robert Harris, ce seront plutôt ceux de North by Northwest, ou peut-être de Rebecca, nous plongeant donc dans les affres du destin extraordinaire d’un homme passablement ordinaire, englouti bien malgré lui dans un engrenage politico-financier pervers. Un homme simple, faussement naïf, « nègre », chargé d’écrire les mémoires d’un ancien premier ministre britannique mais devenant la souris d’un chat invisible et vicieux. Plus Jimmy Stewart que jamais, Ewan McGregor a l’exacte tête de l’emploi : celle de l’innocent que l’on regarde souffrir, mi-inquiet, mi-satisfait. Comme chez Hitchcock, le voyeur en nous ne tarde pas à se réveiller. L’ambiguïté ne s’est jamais si bien portée.

Mâtiné des grandes obsessions polanskiennes (l’eau et la femme comme incarnations symboliques du Mal, la méfiance plus qu’établie envers les pouvoirs  publics et le pouvoir, exprimée par des piques aussi ironiques que rageuses, l’isolement et l’enfermement de l’homme ordinaire), ponctué par une dernière pochade peut-être plus comestible mais portant en elle la même désillusion que celle du chef d’oeœuvre Chinatown, The Ghost Writer se paye en plus le luxe d’un ancrage dans notre réalité pas piqué des vers. Toute ressemblance avec Tony Blair (Pierce Brosnan, à la stature parfaite), sa femme, Georges Bush ou Halliburton ne saurait être que voulue. Brillant, séduisant, impressionnant de rigueur et d’habileté, trouvant le juste regard et le juste ton pour inquiéter autant que passionner, The Ghost Writer est plus qu’une ode au grand cinéma classique américain : il en est le fantôme vibrant et ludique, puissant et malicieux. Un fantôme dont la bonne santé saute désormais aux yeux.

 


18 mars 2010