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Critiques

The Girl with All the Gifts

Colm McCarthy

par Charlotte Selb

Les films (ou séries) de zombies parlent rarement de zombies. Les attaques de morts-vivants servent généralement davantage à révéler des aspects sombres de l’humanité et, outre l’abjection du cadavre ambulant, pourraient indifféremment être remplacées par une catastrophe nucléaire, une épidémie mortelle ou une apocalypse environnementale, l’idée étant surtout d’observer ce que ferait l’homme mis en situation de survie. Quant à la psychologie subtile du zombie (au mieux, un animal domptable dans Day of the Dead), elle est souvent mise de côté, contrairement à celle de son cousin plus sexy, le vampire, qui est régulièrement déchiré entre son humanité et sa monstruosité. Deuxième long métrage du réalisateur britannique Colm McCarthy, qui a probablement pris par surprise plus d’un spectateur de la Piazza Grande lors de la soirée d’ouverture du prestigieux festival de Locarno, The Girl with All the Gifts, adapté du roman de science-fiction éponyme de M.R. Carey sur un scénario de l’auteur, offre avec sa prémisse hors du commun l’un des films de zombies les plus excitants depuis 28 Days Later. Suite à une infection fongique qui a transformé une bonne partie de la population mondiale en « hungries » mangeurs de chair humaine, il émerge une deuxième génération de morts-vivants plus vivants que morts : doués d’intelligence, d’émotions, d’empathie, de langage, et d’un aspect physique normal. Histoire d’humaniser encore davantage cette nouvelle génération, celle-ci s’incarne dans une poignée d’enfants d’une dizaine d’années, enfermés sous bonne garde dans une base militaire et sanglés du matin au soir dans des fauteuils roulants, afin que le Dr Caldwell (Glenn Close) puisse mener sur eux ses recherches et mette au point le vaccin qui sauvera la planète. La plus brillante d’entre eux, Melanie (interprétée par la jeune Sennia Nanua, aussi talentueuse que le laisse entendre le titre), possède également une grande capacité de contrôle sur ses désirs cannibales, notamment quand il s’agit de la jolie enseignante Miss Justineau (Gemma Arterton) qui l’a prise en affection, et qui veut la sauver du scalpel du Dr Caldwell. Il suffit cependant de voir les bambins se mettre à claquer des mâchoires compulsivement à l’odeur des phéromones humaines pour se persuader de l’utilité des sangles…

Au tiers du film, la fillette, l’institutrice, le docteur et deux ou trois militaires parviennent à échapper à une attaque de zombies (certes impressionnante, mais on en a vu d’autres) et fuient jusqu’à une Londres décatie où la nature a repris le dessus. Souvent comparée à l’esthétique du jeu vidéo The Last of Us, la direction artistique du film, avec ses magnifiques ruines couvertes d’une végétation luxuriante et ses morts-vivants endormis dont les corps finissent par se fondre dans l’environnement, évoque l’engouement actuel pour le « ruin porn », mais renvoie aussi à une forme de romantisme britannique du XIXe siècle, qui sublimait ses angoisses de l’avenir en esthétisant les vestiges. À ce romantisme visuel font écho les questionnements sur l’innocence de la jeune héroïne, figure charismatique et ambigüe qui sauvera l’humanité ou causera sa perte, et qui n’est pas sans rappeler un autre roman mêlant science-fiction dystopique et romantisme anglais, Never Let Me Go de Kazuo Ishiguro. Car si The Girl with All the Gifts comporte son lot de scènes d’action et de moments gore certainement des plus efficaces, sa force réside avant tout dans la psychologie complexe des personnages, leurs interactions, et les réflexions teintées de nostalgie autour de l’idée même d’humanité. La jeune Melanie est-elle le monstre que les scientifiques et les soldats voudraient nous faire croire? Sûrement pas, et même les terrifiants petits sauvageons qui hantent les ruines de Londres, sorte de version zombie de Sa majesté des mouches, possèdent autant d’humanité et de droit à la survie que la froide Dr Caldwell et ses brutes militaires.

Les films de science-fiction parlent du présent, et les meilleurs films d’horreur sont les plus politiques : celui-ci n’échappe pas à la règle. Découvert peu de temps après le référendum sur le Brexit, il est difficile de ne pas lire le film de Colm McCarthy à la lumière d’un évènement qui a révélé l’isolationnisme et la xénophobie du peuple britannique. Avec leurs uniformes à la Guantanamo, les enfants détenus dans la base militaire offrent un parallèle frappant avec une autre population accusée de mettre en danger la « civilisation ». Comme dans les meilleurs Romero, le message ultime du film, cynique à première vue mais véritablement humaniste, nous rappelle qu’une civilisation sans tolérance ne mérite peut-être pas sa survie.

 

The Girl with All the Gifts est notamment disponible sur iTunes, Bell, Rogers.


15 mars 2017