Je m'abonne
Critiques

The Girl with the Dragon Tattoo

David Fincher

par Helen Faradji

Concocter un bon petit polar, Fincher sait faire. Seven, The Game, Zodiac, ou même The Social Network transformé sous les bons soins de sa mise en scène haletante en thriller entrepreneurial… Sans être mauvaise langue, il est même facile de voir dans le genre le fond de commerce de celui qui s’est illustré au fil des ans comme un génial styliste, témoignant d’une confiance toujours plus accrue en ses images et ses effets. Un pur plaisir (ou un plaisir pur), souvent divertissant, rarement nourrissant que l’on vient chercher, non sans culpabilité, dans les films de ce faiseur aux inspirations puissantes.

L’adaptation du premier volet de la trilogie Millenium signée par Stieg Larsson (après celle du suédois Niels Arden Oplev, plus lancinante, plus grise), évoquant l’enquête de Mikael Blomkvist, brillant journaliste en disgrâce, pour le compte d’un puissant industriel dont la nièce a disparu il y a plus de 20 ans, ne fera pas tache au tableau. Dès le générique, entrelacs vénéneux d’ombres visqueuses dégoulinant sur la rétine du spectateur pour mieux le marquer, le ton est donné. Le style sera claquant, clinquant. Géométrique et sensuel, avec une capacité unique, il faut bien le reconnaître, à souffler le chaud et le froid dans un même tableau. Mais aussi étourdissant et bruyant (la musique acérée signée Trent Reznor et Atticus Ross fait sa part). Sombre et précis.

Et comme dans Zodiac, et sa photographie orangée poisseuse, ou dans Seven et sa luminosité salement éblouissante, c’est le contexte géographique du récit, cette fois suédois, qui dira le mieux l’environnement social et mental de ses héros. Malgré un souci d’adaptation (pour Fincher, en Suède, tout le monde parle anglais, mais pas avec le même accent), The Girl with the Dragon Tattoo ne cherche pas midi à quatorze heures : l’image d’un gris brillant méchamment, le montage affuté comme des coups de scalpel, le bleu marine et le bois tendre dominant comme un carcan élégant, mais féroce : la Suède devient sous l’œoeil de Fincher un pays glacial, en train de pourrir de l’intérieur, rongé par son passé, aliéné par son présent.

Et c’est encore par sa mise en scène, tendue, nerveuse, qui privilégie avec une sorte de perversité assumée l’action au fond, que Fincher fait correspondre le récit de Larsson à ses thématiques-miroirs de toujours : la paranoïa (celle que ne peut qu’engendrer un monde aussi brutal que le nôtre / celle que ne peut qu’engendrer un cinéma aussi brutal que le sien), la violence vicieuse (celle qui explose après avoir été contenue trop longtemps chez des personnages emmurés vivants / celle qui explose à l’image après de longues séquences de recherches sur internet) et l’obsession (celle de résoudre un crime / celle de capturer son spectateur). C’est à la fois beaucoup, et peu. Car, encore une fois, en faisant une absolue confiance en la capacité unique du cinéma à nous en mettre plein la vue, la méthode Fincher finit aussi par tourner à vide, incapable de ne pas s’essouffler après un premier tiers tape-à-l’œil et spectaculaire.

Sauf que… Sauf qu’une femme, enfin une femme chez Fincher, vient changer la donne. Après avoir coupé la tête de la Paltrow, fait de Bonham Carter une harpie post-moderne ou enfermé la Foster, le cinéaste retrouve en suivant les déplacements souples du merveilleux personnage de Lisbeth Salander, héroïne aussi fleur bleue que gothique, le même élan qu’il trouvait en observant le combat impossible du lieutenant, et survivante, Helen Ripley dans Alien 3. Même grâce féline de Sigourney Weaver et de Rooney Mara (découverte par le même Fincher dans Social Network), même force sortie d’on ne sait où, même empathie spontanée à voir ces corps frêles et longilignes plongés dans des batailles sanguinaires, mêmes prunelles vibrant d’une lueur enragée impossible à éteindre. Le titre changé du livre (Les hommes qui n’aimaient pas les femmes est devenu The Girl with the Dragon Tatoo) ne laisse d’ailleurs subsister aucun doute. Le fond du fond, le vrai intérêt de Fincher, son aimant à regard, c’est bien Lisbeth, détonnant mélange de rugosité et de fragilité auquel même James Bond, dans une version plus vulnérable et maladroite, ne peut résister longtemps. En la filmant comme un animal sauvage aux ressources inépuisables, digne de toutes les attentions, en la transformant en tank humain écrasant sur sa route tous ceux que la liberté, la dignité et la droiture gênent aux entournures, en préservant tant sa folie que son intelligence, David Fincher sauve son héroïne de toute tentation sensationnaliste. Mieux, il finit même par sauver son film de cette triste tentation du vide qui plane sur tout son cinéma.
La bande-annonce de The Girl with the Dragon Tattoo


29 mars 2012