The Green Hornet
Michel Gondry
par Helen Faradji
Est-ce de la naïveté? De l’optimisme vaguement béat? Peut-être un peu des deux. Reste que les films de Michel Gondry (Human Nature, Eternal Sunshine of a Spotless Mind, Be Kind, Rewind) , clippeur ayant fait ses classes, cinéaste tout autant légitime, sont tous baignés par une sorte de gentillesse, de douceur, de joie de vivre tout droit remontée de l’enfance. C’est exactement dans cet esprit sympathique, loin de l’esbroufe à la mode, qu’il s’attelle à la tâche, pas nécessairement facile, de revamper l’histoire du frelon vert, née dans les années 40 à la radio, popularisée à la télé dans les années 60 (la série révéla Bruce Lee) en s’autorisant même, en passant, un petit plaidoyer pour l’indépendance de la presse, nécessaire contrepoids démocratique à toute tyrannie.
Ludique et idéaliste est donc cette Arlésienne de Green Hornet arrivant enfin sur nos écrans après une quinzaine d’années à dormir dans les cartons (Gondry lui-même avait d’abord été pressenti, avant que la patate chaude n’échoue entre les mains de Kevin Smith, Stephen Chow, etc ). Et c’est d’abord la figure même du super-héros qui fait les frais du grand bidouillage gondriesque, pour notre plus grand plaisir. Finis les collants, les capes et la droiture morale un peu mormone. Finis les héros trop noirs rongés par la culpabilité. Finis les super-pouvoirs ridicules. Bienvenus aux héritiers vaniteux et fêtards, lâche et légèrement adipeux. Bienvenues à la débrouillardise, aux masques et redingotes bien coupées, à la fête permanente du bien triomphant. Et bien honnêtement, il fallait de la vision pour demander à Seth Rogen (Pineapple Express, Superbad) non seulement de co-écrire le scénario, mais aussi de prêter son visage pour le moins loin des habituels canons super-héroïques à celui, masqué, du frelon. Immensément drôle, parfaitement puéril, l’acteur s’en sort à merveille, rendant son personnage aussi bonhomme qu’attachant. Mais comme tout super-héros qui se respecte, le frelon ne serait rien sans son acolyte de l’ombre, Kato, ici interprété par le chanteur et acteur taïwanais Jay Chou, aussi élégant que Rogen peut-être pataud, aussi policé qu’il peut être maladroit et dont l’accent marshmallow rend chaque réplique irrésistible. Le duo fonctionne, faisant front commun avec un humour décalé au charme très séduisant et au tempo d’une précision diabolique devant le terrible et effrayant méchant que joue le toujours aussi impeccable Christoph Waltz (Inglourious Basterds). Des acteurs en pleine liberté, s’amusant visiblement, que Gondry encadre par une mise en scène astucieuse et dynamique, multipliant accélérés et ralentis, contre-plongées et inversions dramatiques avec la fluidité d’un vol d’insecte. Tout se passe en réalité comme si jusqu’ici Gondry n’avait eu accès qu’à deux crayons de couleur et que d’un coup, on venait de lui proposer toute une boîte. Forcément, il s’amuse. Seul (gros) bémol, le 3D dont même ce touche-à-tout maître de l’invention ne semble savoir que faire. Décidément, le gadget technologique semble plus encombrer le monde du blockbuster qu’autre chose.
Ce décalage constant, cette légèreté de ton auraient facilement pu pousser Gondry à grossir le ton, à verser dans la parodie. Mais c’est avec intelligence et poursuivant cette veine artisanale qui rend son cinéma si attachant que le cinéaste marie à la comédie un esprit rétro extrêmement séduisant. Palettes de couleurs vives et pop, voitures qui feraient rêver les collectionneurs, lignes géométriques des décors et costumes 60’s : c’est toute la direction artistique de ce Green Hornet qui évoque, sans s’y tromper, un temps non encore dévasté par le cynisme, la lourdeur et la grossièreté des films d’action. C’est d’ailleurs dans ce même esprit « à l’ancienne » que Gondry se place volontairement hors des modes (et notamment Nolaniennes) en rendant chaque scène de bataille ultra-lisible, refusant les effets kaléidoscopiques au profit de bullet time et de ralentis maîtrisés. Quand Blake Edwards rencontre John Woo
Ang Lee avait paré Hulk d’une mélancolie quasi-existentialiste. Bryan Singer s’était essayé au classicisme le plus pur dans Superman Returns. Aucun des deux n’avait malheureusement réussi à se faire suivre par le public dans leurs tentatives. On ne peut qu’espérer que la fantaisie de Michel Gondry parviendra enfin, et une bonne fois pour toute, à dépoussiérer les conventions du genre.
13 janvier 2011