The Hunger Games
Gary Ross
par Helen Faradji
Comme sur une bimbo sur-maquillée pour ses premiers pas à la télé, le vrai The Hunger Games se dissimule sous une couche épaisse de divertissement. On n’adapte pas, ou plus, un best-seller pour ados (en l’occurrence celui de Suzanne Collins, premier épisode d’une trilogie vendu à plus de trente millions d’exemplaires) autrement aujourd’hui. Les sensations doivent valoir le prix d’entrée et le dédoublement de l’expérience le décalque. On peut s’en réjouir, s’en désoler, peu importe, la recette est là. Plus gros, plus fort, plus tonitruant, comme s’il s’agissait lors du transfert d’une uvre des mots vers les images d’asseoir la toute-puissance du cinéma, sa capacité unique à engloutir le spectateur (là où le livre titille son imagination).
Et de toute façon, pouvait-il vraiment en être autrement? Tous 2.0, futuristes ou dystopiens qu’ils soient, les jeux de cet The Hunger Games sont ceux du cirque. Un spectacle qu’il faut nourrir. Des batailles qu’il faut échevelées, presque hystériques pour bien rendre compte de la fébrilité du public invité, dans les gradins décadents du Capitole, capitale de Panem, ancienne Amérique du Nord, ou devant leurs écrans, à se repaître de ce « jeu » consistant à faire s’affronter 12 jeunes hommes et 12 jeunes femmes, entre 12 et 18 ans, dans une forêt, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un. Une jeune fille valeureuse et intègre qui, comme dans un jeu vidéo, avance de tableau en tableau sans que l’on se soucie réellement de son évolution physique ou psychologique (et pourtant, Jennifer Lawrence a, on le sent, tellement plus à offrir). Et un film qui semble constamment à la limite de se laisser enfermer dans le piège d’épouser d’un peu trop près la logique de ce qu’il dénonce. Le jupon du blockbuster ne cesse de dépasser.
Et pourtant. Pourtant, cela n’a (presque) aucune importance. Car, moins sottement niais que Twilight, plus sombre qu’Harry Potter, The Hunger Games choisit un terrain d’expression qui lui fait honneur : celui où l’on refuse de faire des leçons de morale ou de vie, ce qui revient au même, aux adolescents, celui où l’on ne s’adresse pas à eux comme un troupeau en perdition qu’il faut sauver du sexe, de la solitude, de la méchanceté (rayez la mention inutile), celui finalement, bien plus collectif, où on leur adresse la parole comme à une génération qui, demain, sera citoyenne et aura entre ses mains la responsabilité de continuer à faire que le monde persévère à s’approcher du juste et du bon.
Car, sous le fond de teint, The Hunger Games a cette particularité rare sur le terrain adolescent d’être à la fois mythique et politique. Mythique, puisque, de la cruauté de ses actions à l’aventure qu’il distille, ce sont deux mythologies qui sont appelées là en renfort. Celle d’abord de Thésée et du Minotaure, par laquelle la jeunesse était sacrifiée pour le bon plaisir des puissants et le divertissement utilisé comme outil de contrôle. Celle, ensuite, beaucoup moins reluisante de la télé-réalité, triste mythe de nos sociétés contemporaines qui fait de chaque parcelle de vie, même les plus privées, un spectacle racoleur dont peuvent se repaître les plus avachis sans réaliser que derrière le mot « réalité » des producteurs n’en finissent plus d’épicer la sauce à grand renfort de sang ou de sexe cheap.
Entre ces deux pôles, entre lesquels se tend le récit de The Hunger Games, dont l’imaginaire est encore nourri de multiples références cinéma (Battle Royale, évidemment, mais encore Punishment Park, Lord of the Flies, Rollerball ou The Running Man), c’est une vision du monde toute politique qu’échafaude le film. Car, s’il rappelle que rayon irrespect de la vie humaine, dignité et liberté, l’humain n’a malheureusement pas tant évolué que ça depuis l’Antiquité, s’il dépeint dans un court prologue la vie agricole ou industrielle des 12 districts de Panem avec une imagerie habituellement utilisée au cinéma pour dépeindre les camps de concentration (barbelés, baraquements, lumière crue et grise), c’est avec beaucoup d’intelligence qu’il convoque à la fois le passé et le futur dans une esthétique rétro-futuriste marquante pour mieux parler du, et au, présent et dénoncer clairement toute forme d’aliénation, de fascisme et d’autoritarisme.
Un traité d’éducation politique maquillé en divertissement divertissant? Peut-être. Mais surtout un film qui a de l’ambition pour lui et pour ses (jeunes) spectateurs. On fait à notre tour la révérence.
La bande-annonce de The Hunger Games
23 août 2012