The Imaginarium of Doctor Parnassus
Terry Gilliam
par Helen Faradji
Pour comprendre au mieux le cinéma de Terry Gilliam (de Brazil à Twelve Monkeys, de Time Bandits à The Fisher King), il faudrait sans nul doute remonter aux racines de cet art, voyager dans le temps pour faire dialoguer ses films avec ceux de Méliès, de Chaplin, de Powell, de Cocteau, des grands expressionnistes Ceux des inventeurs, des fantaisistes, des expérimentateurs, des alchimistes de l’image pour qui le réel n’était qu’un prétexte comme un autre à enchanter. À l’instar de Tim Burton, Terry Gilliam fait bel et bien partie de cette lignée merveilleuse sachant marier aux univers les plus construits les récits les plus fantasmagoriques. Faudrait-il s’en plaindre? Certainement pas. Et encore moins après avoir vu The Imaginarium of Dr Parnassus.
Suivant les aventures d’une troupe de forains en roulotte, entre bohème miséreuse et magie excentrique, qu’on croirait directement transportée du XIXe siècle dans le Londres d’aujourd’hui, résolument baroque en ce qu’il ne semble soumis qu’aux règles d’une inspiration des plus débridées, l’Imaginarium concocté par Gilliam est d’abord et avant tout un hommage au pouvoir de l’imagination. Celle de ses propres héros dans un premier temps, qui n’hésitent pas à interpréter les désirs de leurs « clients » pour, après les avoir fait passer de l’autre côté du miroir (!), les entraîner dans les aventures les plus folles, les univers les plus extatiques.
Mais cet Imaginarium impressionne encore par ce sentiment qu’il donne de faire la somme des grands triomphes de l’imagination dans le monde de l’art. Se référant au mythe de Faust, à Alice au pays des merveilles, à En attendant Godot de Beckett, au Spellbound de Hitchcock, à la peinture de Dali et de Jérôme Bosch, faisant un clin d’il appuyé au thème primordial du double dès sa première image ou dans une relecture de la scène des miroirs de The Lady of Shanghai de Welles, puisant tant dans les ressources les plus théâtrales de la pantomime que dans celles les plus modernes du cinéma, le film déborde même son propre récit pour se métamorphoser en réflexion subtile sur le rôle de l’art et le statut de l’artiste. Car au fond, celui-ci n’est-il pas un passeur entre la réalité et une vision, un guide qui nous permet de pénétrer des mondes secrets et fabuleux, nichés dans les esprits?
Merveilleusement précise (le film est le premier depuis The Aventures of Baron Munchausen que Gilliam a entièrement préparé par story-board), d’un panache et d’une richesse visuelle étourdissante, toute de brocart et de velours rouge, la merveilleuse kermesse gilliamienne se joue de toutes les conventions pour réinventer à coups de travellings spectaculaires et de contre-plongées dramatiques un « cinéma de l’attraction » ne versant pourtant jamais dans le sensationnalisme. Un exemple? L’apparition de Heath Ledger, décédé au cours du tournage. Si la première image de l’acteur dans le film, en costume blanc, pendu sous un pont, résonne d’une bien émouvante façon, c’est avec une astuce démultipliée que Gilliam parvient à dépasser cette triste réalité pour légitimer le remplacement de l’acteur par Jude Law, Colin Farrell et Johnny Depp. L’imagination peut décidément tout, même contre la mort. « On ne peut empêcher les histoires d’être contées », assène-t-on durant le film.
Après la terrible déconfiture de son Don Quichotte en 2001 et les échecs relatifs de The Brothers Grimm et de Tideland dans les années suivantes, on croyait le cinéma de Terry Gilliam maudit. Une visite dans l’univers de The Imaginarium of Dr Parnassus permet d’apprendre qu’il n’en est rien. La nouvelle ne pourrait être plus réjouissante.
Ce texte est paru originellement dans le numéro 145 de la revue 24 Images.
17 décembre 2009