Je m'abonne
Critiques

The Last Days of Disco

Whit Stillman

par Helen Faradji

Whit Stillman. « L’homme tranquille« . Quatre longs en 22 ans, le cinéaste porte bien son nom. C’est au troisième de ceux-là, The Last Days of Disco, réalisé en 1998, que Criterion a décidé d’offrir le traitement royal, le préférant étonnamment à son tout premier Metropolitan, pourtant plus dense et plus ambitieux.

Pourtant, à bien le regarder, on finit par comprendre Criterion. Car, The Last Days of Disco cache aussi sous son vernis de comédie de mœurs acidulée, mais sans conséquence, un joli contre-pied. En effet, au-delà de la bande d’amis gravitant autour d’un club disco dans le New York du début des années 80, c’est justement cette décennie qu’observe Stillman avec un regard aussi neuf que surprenant. À mille lieues de l’arrogance cynique d’un Oliver Stone, de la démesure clinquante d’un Brian de Palma ou de la méchanceté cruelle d’un Bret Easton Ellis, Stillman voit ces années de fric et de paillettes comme le moment d’une innocence depuis perdue, souillée. Le moment où une jeunesse bien mise et propre sur elle croyait encore naïvement qu’elle maîtriserait son destin, qu’elle le façonnerait à sa guise. Le moment où l’insouciance des vingtenaires ne pouvait que cohabiter à merveille avec la légèreté intenable du disco, musique qui au cinéma a tant servi à colorer les turpitudes et les bas-fonds (Boogie Nights, Funkytown…) qu’on en avait presque oublié son incroyable capacité à être aussi aérienne et éphémère qu’une bulle de champagne.

Dans le livret accompagnant comme toujours l’édition Criterion (et dont les autres maisons feraient bien de s’inspirer) pour cette réédition Blu-ray, l’auteur David Schikler place ces Last Days of Disco dans la droite ligne de The Importance of Being Earnest de Wilde et la plupart des oeœuvres de David Mamet. De belles références pour un film qui, en effet, fouine avec une élégance et une bavardise non contenues dans les vies de jeunes gens s’éparpillant avec bonheur et frivolité, candidement, dans des amitiés qui ne seront que de jolis leurres, mais quelle importance? De belles références qui ancrent également The Last Days of Disco dans une tradition d’œuvres observatrices qui, sous leurs déluges de mots tantôt drôles, tantôt sincères, toujours vifs, font vibrer une époque sans une once de nostalgie (le film date de 1998, le disco était mort et enterré depuis longtemps), sans jamais « faire époque ». En bon entomologiste, Stillman semble d’ailleurs emprunter à ces drôles de papillons qu’il observe leur vivacité, leur incapacité à voler droit, leur adorable inconsistance, leur impossibilité à être ailleurs que dans le temps et l’espace présents.

Mais s’il fallait lui trouver un oncle de cinéma encore plus signifiant, ce serait probablement du côté d’Howard Hawks qu’on pourrait lorgner. Plus précisément du côté de son merveilleux Gentlemen Prefers Blondes (1953, qui ressort d’ailleurs aussi cette semaine en Blu-ray dans une édition pomponnée par la Fox, les choses étant tout de même parfois bien faites en ce bas monde). Bien sûr, Stillman n’a ni le génie de metteur en scène ni le sens satirique aiguisé du maître. Mais par sa façon de nous laisser virevolter dans un monde qui s’achève sans s’en rendre compte, en la charmante compagnie d’une blonde et d’une brune avides de réussite sociale et de petites manipulations qui n’en ont pas l’air, bien décidées à trouver leur place (Chloë Sevigny a remplacé Marilyn, Kate Beckinsale l’animal Russell – l’époque a les icônes qu’elle peut), c’est un regard similaire qu’il porte sur la jeunesse et la féminité. Comme Hawks admirait ses séductrices prêtes à tout pour gagner un cœur ou un portefeuille, comme il leur pardonnait tout ou presque, les caressant de son regard-caméra pour mieux s’amuser de leurs manigances, Stillman ne peut cacher son regard subjugué par ses créatures de la nuit, aussi ingénues qu’ingénieuses. Ce sont elles, bien plus que le reste, qui font le charme absolu de The Last Days of Disco. Elles et leurs grands yeux interrogateurs. Elles et leur arrivisme de bon ton, jamais vulgaire. Elles et leurs ossatures de roseaux qui rien ne peut faire céder. Elles et leur capacité de séduction indémodable. Comme celle du disco, en fait, qui cède peut-être, mais ne mourra jamais.

La bande-annonce de The Last Days of Disco


2 août 2012