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Critiques

THE MAIDEN

Graham Foy

par Sylvain Lavallée

Deux adolescents déambulent dans une petite ville, parlent de tout et de rien dans des plans attentifs, soigneusement composés et éclairés : dans les premières minutes de The Maiden, nous nous retrouvons en terrain connu, celui de l’errance de la jeunesse dans un lieu anonyme (ici en Alberta). La dette envers Gus Van Sant est évidente, autant pour les scènes de skateboard évoquant Paranoid Park (2007) que pour la solitude qui imprègne les couloirs d’une école secondaire, rappelant la première partie de Elephant (2003). Le sentiment de familiarité n’est pas un défaut en soi, d’autant plus, dans le cas présent, qu’il y a une belle justesse dans la façon de capter ce flottement propre à l’adolescence, et que les deux acteurs sont excellents, en particulier Jackson Sluiter (dans le rôle de Kyle) avec ses allures de River Phoenix. Mais le risque de lasser guette ce genre d’œuvre trop prévisible tant elle semble se conformer aux poncifs du cinéma d’auteur contemporain.

C’est en partie le cas de The Maiden, le premier long métrage de Graham Foy : lorsque Kyle meurt assez tôt dans le récit, son meilleur ami, Colton (Marcel T. Jiménez), sombre dans le silence d’une douleur intériorisée, comme le veulent les conventions d’auteur du non-dit et de l’ambiguïté (trop souvent une manière de cacher l’incapacité du cinéaste à imaginer une réelle intériorité). Nous suivons Colton qui traîne dans les lieux qu’il fréquentait avec son compagnon, puis qui tente, difficilement, de retrouver un lien avec d’autres collègues de classe, mais la perte, l’absence se fait ressentir à chaque plan. Se dessine alors une typique histoire de deuil, d’un isolement à surmonter pour se réintégrer à sa communauté – jusqu’à ce que, vers la mi-temps, Foy change de direction de façon surprenante. Il nous amène alors vers une nouvelle perspective, une nouvelle protagoniste que nous n’avions croisée que de très loin jusqu’à ce point : Colton trouve le journal intime de Whitney (superbe Hayley Ness), une jeune femme disparue il y a quelques jours, le film illustrant dès lors le récit consigné en ces pages.

Cette rupture narrative s’avère on ne peut plus salutaire, l’ennui commençant à ce point à s’installer devant l’impression de tourner en rond. Même si la deuxième partie offre en partie une variation sur la première, en présentant une nouvelle perte, sous la forme d’une amitié qui s’étiole avec le temps, nous sentons moins la répétition qu’une densification de ce qui précède. D’abord parce que le mystère de la disparition de Whitney plane au-dessus des images, ensuite parce que nous commençons à mieux comprendre le projet de The Maiden, qui n’est pas exactement celui que l’on croyait. L’œuvre élargit ainsi son horizon, alors que pourtant le scénario se replie sur lui-même dans une structure ingénieuse qui revient peu à peu au point de départ pour mieux mesurer l’écart entre la première et la dernière scène, entre le film devant lequel nous croyions être et celui qui a fini par se dessiner sous nos yeux. Le changement de perspective s’accompagne aussi d’une esthétique basculant vers une forme d’onirisme subtil, alors que nous semblons suivre les fantômes plutôt que les vivants : de Gus Van Sant, nous voilà dans Apichatpong Weerasethakul, grâce à de longs plans nocturnes dans une forêt albertaine évoquant fortement la jungle thaïlandaise.

silhouette dans rue de nuit

Ces références évidentes pourraient dépouiller le film de sa singularité, mais leur familiarité (pour le cinéphile de festival) participe plutôt au sentiment d’étrangeté puisque leurs fantômes viennent rejoindre ceux de la fiction, renforçant l’atmosphère qui flirte par moments avec le fantastique (sans compter que nous n’aurions pas cru retrouver Weerasethakul en Alberta). En outre, The Maiden reprend la posture typique de ses influences, une manière d’accompagner les personnages (avec toute la bienveillance que cela implique), Foy invitant des cinéastes à se joindre à lui pour mieux guider en esprit ses propres protagonistes. Il s’agit donc moins d’un film sur l’absence que sur ce qu’il reste une fois que l’autre est parti, sur les liens qui se forment à travers la perte, sur la vie qui persiste malgré tout. Cela aboutit sur une finale on ne peut plus émouvante, condensant l’essence du film en un moment aussi simple qu’éloquent. L’apparente errance du début laisse apparaitre une structure rigoureuse, qui se permet certes de nombreuses libertés, mais qui nous mène peu à peu vers ce sentiment de transcendance propre aux meilleures œuvres contemplatives.

Il s’agit d’ailleurs d’une des plus grandes qualités du film : ne pas oublier que la beauté des images ne suffit pas à retenir l’attention, et qu’il faut un minimum de construction (qu’elle soit narrative, psychologique ou thématique) pour éveiller l’émerveillement recherché. Les images en 16mm de Kelly Jeffrey sont bel et bien exquises, mais elles le sont d’autant plus qu’elles servent la vision d’ensemble, dans leur capacité à capter avec naturalisme la quotidienneté d’une vie adolescente en banlieue aussi bien que dans leur habileté à nous emporter avec une belle ambiguïté vers des scènes qui oscillent entre la veille et le rêve. Gagnant de la compétition nationale au dernier Festival du nouveau cinéma, après un passage remarqué au TIFF, The Maiden mérite pleinement l’adjectif de « sensible » que l’on colle trop facilement à ce type d’esthétique. Ainsi, malgré quelques passages à vide dans la première heure, ce premier long métrage surprenant annonce un cinéaste prometteur qu’il nous faudra suivre attentivement.


16 mai 2023