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Critiques

The Metamorphosis of Birds

Catarina Vasconcelos

par Louis-Jean Decazes

Au commencement étaient des lettres. Les longs périples maritimes entrepris par Henrique, officier de marine et grand-père de la réalisatrice, marquèrent le début d’une copieuse correspondance entre son épouse et lui, initiée au préalable pour combler le vide de l’absence. De ces échanges épistolaires, n’ont hélas subsisté que de pauvres résidus, Henrique ayant ordonné de les réduire en fumée peu avant de rendre son dernier soupir. Pour Catarina Vasconcelos, qui signe ici son premier long métrage, ces écrits n’ont brûlé que pour renaître de leurs cendres. The Metamorphosis of Birds tente, avec un soin scrupuleux, de retracer cette correspondance perdue, tout autant que d’explorer les pages les plus sombres du roman familial de sa créatrice.

Native du Portugal, Vasconcelos semble hantée par la mémoire de sa grand-mère, Beatriz, partie rejoindre les cieux avant même sa venue au monde. Peu importe qu’elle ne l’ait jamais connue, le portrait qu’elle en fait oscille harmonieusement entre reconstitution et récit imaginaire. Plaçant son film à mi-chemin entre fiction et réalité, la cinéaste a confié aux membres de sa famille le soin d’interpréter ses aïeuls. Puis, elle évoque tout en délicatesse le deuil de sa propre mère, et le rapprochement avec son père, Jacinto, qui s’en est suivi. Utilisées à des fins narratives mais aussi subjectives, les différentes voix off qui tapissent l’ensemble – et parfois s’entremêlent – permettent aux véritables « protagonistes » (ou à ceux qui les incarnent, selon qu’ils soient morts ou vivants) de divulger leurs doutes et leur fragilité.

L’écriture visuelle de The Metamorphosis of Birds se déploie comme un enchaînement de tableaux finement orchestrés, un maëlstrom de cadres étourdissants, composés et mis en lumière avec élégance. Parsemés de références picturales (le spectre des primitifs flamands ne plane jamais bien loin), leur flamboyance, vivante et échevelée, est exaltée par un 16mm des plus duveteux. Cette incessante succession de gros plans, soutenue par les accords stridents de Madalena Palmeirim, est traversée par la douceur de vastes étendues d’eau et de forêts verdoyantes. Si la nature y occupe, certes, une place de premier ordre, cette accumulation d’esquisses brille, avant toute chose, par les natures mortes qui la jalonnent. Des objets communs, domestiques comme alimentaires, sont rassemblés pour ériger de riches compositions, où tout se veut plaisir visuel. Nous accédons ainsi à une forme d’intimité, de proximité avec ces éléments inanimés, tous donnant sens au texte composé dans un second degré d’ordre symbolique. Si l’agencement des images semble suivre une mécanique bien huilée, son envers destructuré écarte le risque d’un schéma linéaire. Il appartient au spectateur de rassembler ces fragments dispersés, à remettre de l’ordre dans ces souvenirs épars.

La narration nous l’apprend : Joaquim, le père de Catarina, poursuivait dans sa plus tendre enfance un rêve fou… celui de se transformer en oiseau ! Les arbres mourants, qui succèdent à cet épisode, dessinent de funestes horizons : les oisillons ne pourront plus y grandir, ni s’y initier au vol. Le décès de Beatriz, la mère du petit Joaquim, a eu sur ce dernier l’effet d’une fondation brisée. D’un jour à l’autre, le pilier de son existence s’est effondré, celle qui le fit voler de ses propres ailes s’est à son tour envolée. Voilà une métaphore ô combien révélatrice des liens étroits qu’entretiennent au sein du film la nature et le deuil. Des mains enfantines inhumant un volatile répondent au récit de l’enterrement d’une femme… nul doute possible : c’est bien la preuve que toute espèce vivante – qu’elle soit humaine, animale ou végétale – se trouve un jour confrontée à l’épreuve de la mort.

Plonger dans son histoire familiale est aussi l’occasion pour Catarina Vasconcelos de revisiter tout un pan de l’histoire portugaise : celui, rude et amer, de la dictature. S’il évoque de manière diffuse le passé colonialiste du pays, The Metamorphosis of Birds captive par l’attention particulière qu’il accorde à la place des femmes durant cette période. Chose rare sous un régime totalitaire : la famille Vasconcelos a consacré l’autorité de la mère comme cheffe de famille, suite aux absences répétées du père. Le film est structuré en deux parties où cohabitent deux réalités contradictoires. La première frappe par son approche factuelle : elle colle au plus près de l’Histoire grâce à un travail d’exposition et d’éclaircissement des évènements. Dans la seconde, il n’est plus question du joug salazarien car cela appartient désormais au passé ; la cinéaste laisse donc place à l’intuition et l’esthétique. Elle dépeint, toujours dans cette seconde moitié, un modèle familial libéré des carcans aliénants et enrichi par les apports de la Révolution des œillets (voir Capitaines d’avril de Maria de Medeiros). Nous sommes à présent loin, très loin, de la structure traditionnelle promue par l’Estado Novo, que Fernando Lopes dénonçait avec virulence dans son fascinant Une abeille sous la pluie (1972).

Depuis ses débuts, même lorsque celui-ci était muet, le cinéma portugais n’a cessé de mettre en scène la bourgeoisie de province. Si The Metamorphosis of Birds s’inscrit dans la droite ligne de cette tradition, sa foi dans dans le réenchantement du réel résonne avec les œuvres de Miguel Gomes et Rita Azevedo Gomes. Il échappe néanmoins à toute catégorisation rigide : est-ce un film-essai, un film-mémoire, une métafiction ? Mais autant qu’il génère son propre manifeste, le film parvient, en explorant tous les recoins d’une histoire personnelle, à atteindre une dimension universelle qui touche au cœur.

The Metamorphosis of Birds prend l’affiche au Cinéma Moderne à compter du 9 juillet.

 

 


9 juillet 2021