The Newsroom
Aaron Sorkin
par Helen Faradji
Chase, Simon, Ball, Fey, Poehler, Louis CK… et bien sûr Aaron Sorkin. La simple énumération devrait déjà suffire à établir la crédibilité d’une théorie des auteurs de séries. Mais le cas d’Aaron Sorkin lui donne encore plus de poids. D’abord, parce qu’il fut l’un des premiers à apposer sa patte, reconnaissable entre mille, sur Sports Night dès 1998, puis sur l’essentielle The West Wing, l’année suivante. Ensuite, parce que les scénaristes de tout poil lui doivent assurément une fière chandelle, lui par qui le sacre du scénariste tout-puissant est enfin venu. Du moins à la télé.
Impossible à nier, ce sont bien les mots, intelligents et précis, de Sorkin qui font empreinte lorsque l’homme se met en tête de présider au destin d’une série. Au point même qu’un plan signature fut inventé spécialement pour eux : le walk and talk (parodié dans un épisode de 30 Rock où Sorkin jouait le jeu de la guest star), littéralement le « parler et marcher », désignant ces séquences récurrentes dans son œuvre où deux personnages arpentent un couloir en devisant aussi rapidement qu’ils avancent les pieds.
Évidemment, The Newsroom n’y échappe pas. Mais plus encore, c’est véritablement la personnalité de Sorkin qui s’y incarne, dans chaque plan, chaque instant, chaque séquence de ce récit en 10 épisodes, chacun menant à la présentation d’un journal télévisé, conçu par la salle de rédaction d’une chaîne câblée. Une personnalité évidente, claire, tranchante, à la fois dans la droite ligne de celle qu’il exprimait dans The West Wing où il se mouvait dans les couloirs de la Maison Blanche, ses hautes idées de la politique portées en panache blanc, mais également son exact inverse, son négatif.
Dans The Newsroom, tout commence en effet par un rouage se grippant dans le bel engrenage de l’idéologie patriotique yankee. Will McAvoy, présentateur de journal télévisé à l’ego surdimensionné, invité à venir échanger avec des étudiants, donc avec le futur de la Nation (chez Sorkin, le symbolisme ne s’embarrasse pas de finesse), est confronté à la question : « pourquoi l’Amérique est-elle le plus grand pays au monde ». Sa réponse tranche, nette et sans concession : « elle ne l’est pas. Mais elle pourrait l’être », avant qu’il ne se lance dans un discours aussi fleuve que palpitant sur les maux affligeant son ancienne flamme.
Dès cette première scène et jusqu’à la fin de la série, qui osera même faire de Jane Fonda, ex-icône des 60’s révolutionnaires et utopistes une patronne-serpent au cynisme manipulateur effarant, Sorkin va se dévoiler amer, désabusé, en colère ou déprimé, déposant les armes de sa naïveté enthousiaste devant ce monde complètement détraqué depuis le 11 septembre, devant cette Amérique devenue folle, rongée par son goût pour le vedettariat obscène, ses raccourcis de fond comme de forme, son culte de l’argent tout puissant, son arrogance aveugle.
Mais, si des nuages noirs se sont clairement réunis au-dessus de la plume de Sorkin pour mieux incarner le ras-le-bol mondial devant le je-m’en-foutisme généralisé, si sa flamme semble sans cesse vaciller, elle n’en reste pas moins allumée. De la jeune économiste vibrant encore et toujours d’un feu sacré noble et pur à la figure du journaliste réinventé en Don Quichotte, partant en croisade, son intelligence en bandoulière, contre les mensonges éhontés du Tea Party ou la dictature de l’infotainment, The Newsroom ne semble en effet jamais capable de réellement se défaire de la haute idée que Sorkin se fait encore des institutions américaines incarnant le pouvoir. Droit dans ses bottes, un journaliste peut tout. Informer, enseigner, élever. Et même sauver le monde.
Des valeurs qu’il ne cesse d’encenser (l’honnêteté, le travail, la détermination, l’intérêt public…) aux dynamiques souvent mielleuses qu’il crée entre ses personnages mais que l’on voit nettement inspirées par un certain souvenir de celles qui animaient les comédies sophistiquées d’un Lubitsch ou d’un Cukor (McAvoy et sa productrice nous joueront ainsi en autant de tableaux qu’imaginables la danse du « je t’aime, moi non plus » à coups de répliques piquantes et de victoires d’esprit) en passant par son générique vieillot fleurant la naphtaline, Sorkin réveille alors l’idée d’un certain Hollywood. Celui d’avant le cynisme, la paranoïa ou la dureté. Celui qui n’avait pas peur du premier degré, ni du spectacle. Celui qui avait aussi l’humanisme chevillé aux images et aux mots.
Car, derrière les enjeux humains inutiles alourdissant la construction dramatique de The Newsroom, derrière son sens de l’épique enrobé trop souvent dans un épais sirop, derrière sa bavardise parfois gratuite, sa foi et son idéalisme ne laissent planer que peu de doutes : il y a bel et bien du Frank Capra chez Aaron Sorkin.
La bande-annonce de The Newsroom
8 août 2013