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Critiques

The Place Beyond the Pines

Derek Cianfrance

par Helen Faradji

Trois actes. Exposition, noeud, dénouement. Depuis Aristote, ainsi s’en va de la tragédie, avant que la dialectique ne s’empare de cette bonne vieille valse à trois temps pour la schématiser en une formule aussi simple qu’efficace : thèse-antithèse-synthèse. Enfilant ses habits de cinéaste de l’ultra-réalisme, chouchou du nouveau cinéma indépendant américain, Derek Cianfrance inscrit maintenant son nom sur la liste de ceux qui préfèrent jouer à trois.

The Place Beyond the Pines ne saurait en effet être structurellement plus schématique. Trois tableaux. Trois groupes. Trois destins, personnels et collectifs à la fois, s’emmêlant au final dans le décor mi-campagne, mi-banlieue de la petite bourgade de Schenectady, dans l’état de New York. Celui de Luke, d’abord, cascadeur à moto dans une fête foraine ambulante, sans cesse tenté par le côté obscur d’une petite délinquance minable, et qui découvrira que son aventure lointaine avec une fille du coin lui a donné un fils, aujourd’hui élevé par un autre homme. Celui d’Avery, aussi, policier aux ambitions marquées qui devra apprendre à composer avec la corruption qui mine son service. Ceux enfin des fistons des deux bougres qui, 15 ans plus tard, vont se rencontrer et découvrir leur histoire commune.

Des hommes, des destins, une tragédie. Comme il y avait eu, en mode mineur certes, mais tout de même, dans son précédent Blue Valentine, un homme et une femme, un destin, une tragédie. La table est mise. Et joliement, d’ailleurs. Car, du petit film indie ayant tant marqué les esprits en 2010, Derek Cianfrance a également renouvelé le geste esthétique en retrouvant les trucs et astuces d’une mise en scène particulière et personnelle, à la fois hyper stylisée (fondus enchaînés souples, caméra à l’épaule aux mouvements vifs hyper-marqués) et vériste (le grain de l’image est apparents, les décors naturels, les maquillages réduits au minimum). Dans le sillage d’Aronofksy et de son Wrestler et de O. Russell et son Fighter, Cianfrance invente le « réalisme sexy », observant le réel avec une sorte de nonchalance cool, mais incroyablement travaillée, extrêmement séduisante.

Mais l’enveloppe n’est pas tout. Et The Place Beyond the Pines a cette intelligence de prendre ses distances avec l’intime et confiné Blue Valentine en ouvrant sans cesse son regard vers la fatalité. Car à bien y regarder, le film, marqué par une ambition narrative inédite chez le cinéaste, ne serait-il pas cette version ultra-contemporaine et prolétaire d’une tragédie grecque qui fait accéder les films au rang de grande œuvre profonde ?

Il pourrait l’être.

Mais comme nombre de ses contemporains, Cianfrance semble faire passer son désir, assumé et louable, de faire « un grand film » avant son récit, avant même de se soucier de faire vivre ce qui est à l’écran. La pensée magique est dangereuse au cinéma. Pourtant écrit à six mains (Cianfrance, Ben Coccio et Darius Marder), le scénario de The Place Beyond the Pines est en effet la pierre sur laquelle achoppe toute la belle entreprise. Dialogues simplistes qui enfoncent les portes ouvertes que les simples images suffisaient à ouvrir, incapacité à réellement faire vivre le hors champ du film (cette petite ville, ce milieu plus que modeste restent des éléments de décor), manque de véritable incarnation, de chair, personnages définis en esquisses, acteurs-stars convoqués pour leur charisme mais à qui l’on semble ne jamais véritablement faire confiance (Ryan Gosling, décoré en Ken white trash, tatouage de la larme près de l’œil, cigarettes et moto inclus ; Bradley Cooper, loin d’être cet acteur bimbo auquel Hollywood semble vouloir le réduire, mais aux prises avec un rôle binaire ; Eva Mendes, force de la nature n’ayant pas ici assez à se mettre sous la dent pour pouvoir capitaliser sur la complexité ou le mystère de son personnage)… la forme avant le fond, encore. Et le spectateur laissé à lui-même devant des personnages et un film qui créent l’illusion d’une tragédie, mais laissent dépasser leurs jupons.

La bande-annonce de The Place Beyond the Pines


15 août 2013