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Critiques

The Pleasure of Being Robbed

Josh Safdie

par Helen Faradji

Cannes, Quinzaine des Réalisateurs, mai 2008. En catimini, un jeune auteur américain de 24 ans débarque, son film sous le bras, et charme la Croisette. Non, pas Xavier Dolan.

Montréal, n’importe quel vidéo-club, février 2010. Sans passage par la case salle, The Pleasure of Being Robbed, petite pépite indépendante, dont même les défauts paraissent avoir du charme, arrive en DVD chez nous. Pour le plaisir de le découvrir, on s’arrêtera. Pour la vision de son distributeur, en l’occurrence IFC Films / E1, on repassera, malgré, il faut bien le noter, une édition DVD assez riche, agrémentée de 2 cours de Josh Safdie, plus patauds, mais empreints de la même liberté attachante, de 3 courts inspirés par le tournage lui-même et d’une version musicale du film, remplaçant l’habituel commentaire ronronnant du réalisateur, aussi originale qu’inspirée et composée par The Beets, le cinéaste et son actrice, un an après la sortie.

Eleonore est de ces jeunes filles qui errent plus qu’elles n’avancent, qui semblent divaguer au gré d’inspirations venues on ne sait trop comment d’on ne sait trop où. Lointaine cousine du Willie imaginé par Jarmusch dans Stranger than Paradise, vague parente d’un Antoine Doinel, elle se fond dans la masse anonyme d’un New York décrépi mais enchanté, fantasmé par Josh Safdie comme un endroit où toutes les marginalités, des plus excentriques aux plus discrètes, cohabitent comme autant d’atouts apportés au vivre ensemble. Pour passer le temps, pour lui donner du piquant aussi, Eleonore chaparde, prend le métro, joue au ping-pong, va au musée. Sans plan. Sans but.

Et tranquillement, sans que rien ne semble écrit ou fabriqué, le récit la suit, dérivant joliment en suivant le flot de la vie qui passe, en captant, l’air de rien, une atmosphère douce et bienveillante, urbaine et décalée. Tourné dans un Super-16 vif et fébrile, littéralement à fleur de peau, n’ayant jamais peur de se frotter aux détails les plus grossis de la vie elle-même, The Pleasure of Being Robbed est de ces films-ballade qui font exister le réel si fort, avec une telle puissance, qu’il en devient formidablement touchant. Malgré les références qui s’affichent sans complexe (le Pickpocket de Bresson, sans la quête existentielle ou la dimension morale, le cinéma de la Nouvelle Vague, celui de Cassavetes ou du Wayne Wang des débuts aussi), parfois trop fort, la chronique impressionniste a ce souci de la vétille vraie, ce sens du naturel troublant qui parvient sans peine à faire oublier le son parfois défaillant, le cadrage parfois maladroit, pour peu que l’on accepte l’invitation. Le souffle du réel a tout de même de ces pouvoirs.

Porté par la grâce d’Eleonore Hendricks, également co-scénariste, et dont l’énergie n’est pas sans évoquer celle d’une Charlotte Gainsbourg, la timidité gracile en moins, le film fait aussi de l’insouciance et de la légèreté un véritable mode de vie, coupant court à la mode d’un cynisme noir corbeau et d’une misanthropie caractérisant habituellement le travail des jeunes cinéastes. Imaginaire, plus que social, tendre, plus qu’acerbe, simple, plutôt que poseur, Safdie y développe en réalité un ton unique, original et gracieux, décrivant avec autant de sincérité que de naïveté un monde décalé et étrange, bourré de contradictions mais où, malgré tout, il fait bon vivre, sans un sou en poche, sans voir plus loin que le bout de son nez, un monde simple et spontané. Le résultat n’est peut-être pas bien sophistiqué, mais il a l’agréable fraîcheur de ces matinées d’automne volées aux journées trop pleines, aux agendas qui débordent. Go Get Some Rosemary, deuxième film de Safdie, co-réalisé par son frère Ben, est pour sa part sorti l’an dernier. On apprécierait qu’il nous arrive dans moins de 3 ans.

 


11 février 2010