The Raid 2
Gareth Evans
par Helen Faradji
Disons-le d’emblée : on ne voit pas The Raid 2, on est enseveli par lui. Comme une avalanche lourde et rugueuse qu’on prendrait en pleine face. Dont on ressentirait chaque soubresaut dans le corps et dans le cœur. Car la suite de The Raid : Redemption qui, déjà en 2011, réinventait les contours du film d’action tout en rappelant au monde du cinéma l’existence même du cinéma indonésien, est un film qui nous avale, nous entraîne, et, surtout, n’oublie pas de capitaliser sur l’immense leçon que les films de genre ont su donner au cinéma : le plaisir.
Mais le plaisir généré par cette déferlante de près de 2h30 de pur mouvement n’a rien de méta ou de pop à la Tarantino, pas plus qu’il n’est ironico-dépressif à la Coen ou rétro-nostalgique à la « film de super-héros ». Il est un plaisir pur, simple, évident. Et aussi glaçant.
Il est d’abord celui de l’action. Dure et agressive. Une action qui déborde, qui gronde, sourde, avant d’assaillir le film et de le percer sans relâche de trouées d’une violence inouïe à mesure que les combats (de préférence seul contre mille, dans un espace clos) s’intensifient, à coups de pieds, de poings, de marteaux. Mais une action que Gareth Evans, petit prodige d’origine galloise installé en Indonésie, filme – et c’est fascinant – sans heurts, sans hystérie inutile pour plutôt développer une mise en scène souple et fluide dont le calme apparent contraste avec la précision et la sécheresse des coups et dont les coups d’éclat et les idées insensées (nombreuses) laissent le souffle court.
Mais cette violence délirante, barbare, ne se contente pas de nourrir complaisamment l’appétit de son spectateur. Et c’est bien rapidement que derrière son cœur sauvage se révèlent plutôt les mutations d’un monde : celui de ces clans mafieux s’affrontant par générations interposées, la loyauté et la noblesse des anciens peu à peu dévorée par la brutalité et l’avarice des plus jeunes, désormais adeptes des armes plus que des poings, et qui ne rêvent que d’être califes à la place du calife. La gangrène morale déshumanise ce nouvel échiquier mondial où les hommes deviennent des pions d’un jeu terrible de territoires et d’argent. Le tout sous les yeux vides de Rama, flic envoyé clandestinement infiltrer les bas-fonds de Jakarta et champion de pencak silat, un art martial local , dont l’acharnement à survivre trahit sans peine une énergie du désespoir bouleversante.
Car c’est alors, par cette violence ultra-réflexive et jamais vaine, que la tragédie en personne s’invite dans The Raid 2. La grande, la vraie. Celle-là même qui expurge des passions en les disséquant sur grand écran par une construction dramatique en crescendo d’une ampleur dramatique passionnante. Celle-là même qui prend racine dans ces trahisons en rafale, dans ces vengeances à assouvir ou ces Oedipe mal réglés pour faire naître une émotion improbable mais bien réelle. Celle-là même qui aide le spectateur à tolérer ces geysers d’action malveillante en lui rappelant, avec sincérité, que derrière les cascades de sang, des hommes et des femmes souffrent et se sacrifient.
À la fois ultra-classique et intensément moderne, The Raid 2 a encore la formidable profondeur de savoir réfléchir autant le devenir de ses personnages que celui du genre. Dès son premier plan, tout est d’ailleurs dit. Un champ de maïs, vu de haut, avec une profondeur de champ immense creusant les détails de ce paysage sombre et gris évoque le cinéma de Scorsese, les hommes-fourmis soumis à la fatalité d’un destin sanglant, le film noir. Mais le miroir, qui au fil de ces séquences chorégraphiées et énergiques évoquera encore le cinéma de John Woo ou Johnnie To, réfléchit encore davantage que le simple clin d’œil. Pessimiste, The Raid 2 est aussi un film crépusculaire palpitant dont chaque plan fustige plus que clairement cette nouvelle obligation du cinéma de genre à se boursoufler toujours plus pour séduire, comme la grenouille voulant se faire aussi grosse que le bœuf. Refusant la surenchère numérique pour sans cesse faire palpiter l’écran par la vitalité de ce qui fait la quintessence du cinéma d’action (le mouvement, encore le mouvement, toujours le mouvement), ce film dément rappelle aussi la persistance d’une ancienne façon de faire, certes affaiblie, usée, le corps chancelant sous les impacts de balles, mais toujours vivante. Quel qu’en soit le prix. Quelque chose comme un espoir.
La bande-annonce de The Raid 2
13 avril 2014