Critiques

The Timekeeper

Louis Bélanger

par Juliette Ruer

La civilisation est une digue qui prend l’eau régulièrement et les artistes savent nous faire trembler en dépeignant l’effritement. Ça fait de drôles de toiles chez Goya, Bacon et cie, des livres qu’on ne veut plus lire le soir et quelques frappés sur grand écran. The horror, the horror…

Louis Bélanger s’est appuyé sur la curiosité d’un autre pour tenter de comprendre les limites de la civilisation; celle du grand auteur montréalais Trevor Ferguson, en adaptant son roman, The Timekeeper.  Dans les années 60, un jeune homme part gagner de l’argent en devenant pointeur sur un chantier de construction de chemin de fer, au fin fond des territoires du Nord Ouest. Il est calme et droit, avec des principes. Sous la tyrannie du contremaître Fisk, les hommes du chantier doivent construire 52 miles de rails en 52 jours. Le mode de fonctionnement du camp s’articule entre crainte et corruption. Les ouvriers ressemblent à des zombies hirsutes. Le bien et le mal sont clairement en opposition. Y aura-t-il un gagnant ?

Dans une ambiance un peu irréelle de chasse galerie, avec le côté sale d’un western qui aurait des relents de Deliverance; on pourrait aisément croire que le bout du monde est en effet au fond du bois, au Canada… Bélanger, jeune roi de la chronique humaine urbaine, au ras du réel dans Gaz Bar Blues, est parti respirer la folie humaine ailleurs et dans une autre langue officielle, avec des acteurs canadiens anglais pour la plupart (Roy Dupuis marmonne parfaitement dans les deux langues).

Grand bien lui fasse. Même au milieu des mouches et dans une autre époque, on reconnait le talent de conteur en images de Bélanger. On va suivre de façon haletante la rencontre et les confrontations entre le juste (Craig Olejnik) et le diable en personne (Stephen Mac Hattie). Durant la première heure, l’ambiance s’envenime vite, on ne perd pas de temps. Le rythme est rapide, cadencé par le labeur, celui des hommes qui frappent sur les rails, comme les prisonniers faisant la route dans Cool Hand Luke. Bonne idée bien illustrée : le temps est l’élément clé de ce film. Il y a le gardien du temps (le pointeur), et celui qui ment sur le temps (le boss). Il y a le temps qui n’existe plus pour les bannis du camp et le temps sur lequel on va gager en un sprint final. Nous sommes hors du temps, mais le temps devient le seul paramètre contre la folie.

Dans la seconde partie, après le bannissement du héros, le bien et le mal deviennent des concepts plus flous, moins hermétiques. Le rythme n’est plus celui de la découverte, mais on voudrait qu’il soit celui de la résolution. Or, l’histoire rebondit, on revient au point de départ, et ça s’étire jusqu’à une finale qui n’a pas tranché le nœud et où les différences s’estompent. Sans vouloir être manichéen et mettre le bien d’un bord et le mal de l’autre; on s’expose ainsi à une fin plus molle à cerner. Or peut-être sommes-nous trop habitués, dans ce genre d’histoire – saga méga virile à portée universelle  – à recevoir quelque chose de moins conceptuel et de plus basique. L’habitude cow-boy de plus de rudesse, de force, de silence aussi.

On n’en sort pas abasourdi, parce que l’on n’a pas craint pour les personnages. Cela ne tient pas à eux : la construction des caractères est solide, ils ont tous du souffle, du style, de bonnes phrases et un tempo propre à chacun. Mais le film conserve une distance encore trop civile, une réserve polie, qui fait que l’on se fiche de savoir ce qui va arriver aux protagonistes. Reste que The Timekeeper est un vrai bon film, une aventure comme on en voit peu, avec des images splendides. Plus un conte qu’une tranche de vie, il est un exemple de plus du déraillement humain et une pierre marquante dans la filmo de son auteur.


20 août 2009