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Critiques

The Town

Ben Affleck

par Helen Faradji

Il n’y a aucun doute à avoir : Ben Affleck connaît sur le bout des doigts son abécédaire du petit policier illustré. Déjà, en 2007 lors de son premier passage derrière la caméra – une position qu’il occupe avec bien plus de prestance, vu ses errements légèrement bovins devant – avec Gone, Baby Gone, les indices étaient là. Il faut dire qu’à la barre, avec lui, se tenait l’un des héros du noir nouveau genre, le romancier Dennis Lehane. Cette fois, c’est un bouquin de Chuck Hogan qui servira de matériau de base pour confirmer l’intuition : Ben Affleck a le noir qui lui coule dans les veines.

Dans The Town, comme le nom l’indique, il y a d’abord Boston ou plus particulièrement le quartier de Charlestown, détenteur du record mondial du nombre de braquages de banque. Lieu d’ombres, de vices, de perdition où tout le monde se connaît, où les Irlandais n’ont plus de chance que le souvenir, et dans les caniveaux duquel nous plonge Affleck par une mise en scène alerte et paradoxalement élégante. Lieu que l’on découvre aussi, loin des habituelles images chics des façades en belles pierres de la capitale du Massachusetts. Il y a ensuite Doug, voleur de génie, solitaire et taciturne, qui a laissé sa vie lui filer entre les doigts sans se chercher d’autres excuses que celle de sa propre bêtise. Il y encore cet acolyte à la gâchette trop facile, cette fille angélique comme un baume qu’on met sur les blessures, cette autre fille, trop paumée pour être la manipulatrice qu’elle voudrait être, ce flic persuadé que sa droiture peut suffire. Et ce code d’honneur que partagent les truands, socle sur lequel se forme bien vite l’esprit de The Town, celui d’un polar à l’ancienne bien troussé. Bien sûr, il y a aussi les maladresses de séquences trop viriles pour entièrement séduire, les dialogues manquant parfois de punch et de panache, les interprétations inégales, les accents gros comme des camions volés. Mais il y a surtout dans The Town un sens du récit et une sincérité semblant d’un autre temps et qui sont souvent la pièce manquante de trop nombreuses réalisations américaines platement illustratives du genre. Ben Affleck n’est pas un génie, loin s’en faut. Mais il est un conteur fin et efficace, ce qui est suffisamment rare pour le souligner.

Un conteur qui, en outre, connaît ses classiques. La ville source de tous les vices, l’anti-héros battu par la vie et hanté par son passé, le déterminisme, la cupidité, l’ambivalence finale, le réalisme, la tragédie qui n’est jamais bien loin… les codes (ceux de The Maltese Falcon à Touch of Evil, en passant par The Killing de Kubrick ou Call Northside 777) sont là. Mais Affleck les connaît comme un spectateur d’aujourd’hui peut les connaître, c’est-à-dire en ayant conscience de leur appartenance à un passé de cinéma prestigieux, mais aussi en ayant conscience de ce qui a suivi. Le thriller et sa tension permanente, l’irruption de la violence, le dynamisme des montages contemporains : voir The Town, c’est aussi voir défiler sous nos yeux une histoire du cinéma policier, de ses sources à ses soubresauts récents. Une histoire dont les moments forts auraient été assimilés, digérés pour ressortir sur l’écran comme conscients de leur propre valeur mythique. En poussant le bouchon probablement trop loin, on pourrait même faire d’Affleck un successeur de ce cher Clint Eastwood. Car Affleck, comme l’Eastwood de Blood Work ou Mystic River, le Sean Penn de The Pledge ou le Scorsese de The Departed, est certainement de ces cinéastes néo-classiques bien conscients d’arriver après la grande bataille, mais certain que celle-ci vaut encore la peine d’être menée. Le noir est mort. Vive le noir.

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On apprenait cette semaine avec tristesse le décès de l’acteur britannique Pete Postlethwaite à 64 ans, nommé aux oscars pour son rôle dans In the Name of the Father de Jim Sheridan, exemplaire en Kobayashi dans Usual Suspects ou en chef d’orchestre dans Brassed Off. Dans The Town, il prêtait son profil en lame de couteau au Fleuriste, méchant comme il ne s’en fait plus, cruel et charismatique.


6 janvier 2011