The Tree of Life
Terrence Malick
par Helen Faradji
Sublime, grandiose, magnifique, exceptionnel. Après avoir vu The Tree of Life, décidément l’événement d’un univers cinéma qui avait bien besoin de se faire ainsi secouer les puces, l’armoire aux superlatifs s’ouvre en grand et l’on ne peut résister à l’envie d’y piocher à foison. Dans celle des grandes théories non plus d’ailleurs (le cinéma total de Bazin, l’image-mouvement de Deleuze, le cinéma pur de Chomette ). Car le cinquième film de Terrence Malick est en effet aussi admirable que profond. Aucune image qui n’y soit pas envoûtante et significative, aucun son qui n’y soit captivant et puissant, aucun mouvement qui n’y soit fascinant et immense. Aucun spectateur, non plus, dont la bouche ne tomberait pas à terre devant le spectacle absolu d’une telle beauté, d’une telle richesse de sens.
Oui, Terrence Malick est un esthète. De ceux qui font l’eau, la terre, le feu lyriques. De ceux qui, d’un simple bruissement de feuilles, sont capables d’enivrer l’âme. De ceux qui n’ont pas peur de faire appel à l’intelligence et à la sensibilité de ses spectateurs. Dans The Tree of Life, rien ne passe par les canaux « habituels » du cinéma contemporain. Une narration classique qui se défile au profit d’un enchaînement souple d’images et de sons. Un récit ne rougissant pas une seconde de s’aventurer, à travers une toute petite histoire (le quotidien d’un père, une mère et leurs trois enfants dans le Texas des années 50), à évoquer la grande, celle de l’humanité toute entière. Il fallait oser, tout de même, accoucher ainsi d’un film-monde, d’un film absolu redonnant au cinéma son sens merveilleux et premier d’expérience.
Une expérience, oui, voilà ce que The Tree of Life est. Celle du cinéma (ah qu’on aimerait être un spectateur vierge de toute image et découvrir ce que le cinéma peut être par ce film), où s’enchaînent souplement, au gré des notes souveraines de Malher et Berlioz, les instantanés de ce qu’a pu être la Création. Celle du montage aussi, ici d’une maîtrise phénoménale, arrondissant les jointures là où on les attendait cassantes, brisant les rythmes que l’on croyait continus, réinventant par sa mise en scène toute la grammaire connue. Celle de la vie, enfin, où se révèlent, entre les lignes des images, les grandes idées rousseauistes du lien entre civilisation et nature ou celle de l’ontologie des Êtres, si chère à Heidegger (Malick, ex-prof de philo au M.I.T., en fut l’un des premiers traducteurs aux États-Unis il n’y a pas de hasard).
Tout cela, et tellement plus encore, est dans The Tree of Life. La beauté, la simplicité, la vie, la mort, la cruauté de la nature humaine et celle de la nature, la compassion, la générosité Malick, on le sait, ne parle pas aux journalistes. Tout est dans ses films, dit-il. Et force est de constater que même les critiques adressées à cet Arbre trouvent leurs réponses au sein de cet espace diablement intelligent d’images et de sons. Redondant? Répétitif? Tournant en rond, l’arbre de la vie? Oui, bien sûr, les séquences s’y enroulent les unes sur les autres dans une structure en spirale (une hélice d’ADN?), se repliant et s’étendant au rythme d’un cycle facile à reconnaître : celui de la vie qui avance par heurts et par à-coups. Mystique, new age, pataugeant dans des concepts pompeux? Oui, probablement, mais qui aborde le grand mystère du début ne peut être prosaïque. D’autant que le fameux mysticisme malickien, si souvent décrié depuis sa présentation cannoise, tient dans quelques esquisses élégantes et simples, jamais prosélytes : la bonté, la toute-puissance de la nature, la difficulté de co-exister, l’amour Devant les idéologies nauséabondes que chaque semaine des films lourdauds et sans noblesse nous lancent au visage, pourquoi au juste refuser celle de Malick plus que les autres? D’autant qu’il n’y a dans Tree of Life rien qui n’infusait déjà Badlands, Days of Heaven ou The Thin Red Line
L’oeuvre absolue, alors, ce Tree of Life? On y retrouve en tout cas toutes les obsessions du cinéaste, seul Dieu vivant du cinéma depuis le départ de Kubrick et Bergman. Cette voix-off, dissociée du contenu des images, toujours. Ce rapport au père, forcément conflictuel. Cette image de la femme, proche de la sainteté (on s’amusera d’ailleurs à noter les similitudes entre Jessica Chastain et la Sissy Spacek de Badlands ). On y sent encore, c’est tout aussi vrai, quelques maladresses, quelques décrochages (cette présence à la limite de l’inutile de Sean Penn, qualifié selon le mot maintenant célèbre d’Anthony Lane, de « figurant égaré de Zabriskie Point », ces dinosaures à la présence trop symbolique ). Mais les chefs d’oeuvre, on le sait, ont ceci de particulier qu’ils prennent le risque de se tenir sur un point d’équilibre fragile et vacillant entre la révélation et le désastre. Que The Tree of Life parvienne à s’incarner sur ce point la grande majorité de ses deux heures trente tient tout simplement du miracle.
Rétrospective Terrence Malick au cinéma du Parc dès le 24 juin
Présentation dans la salle Fellini du complexe Ex-Centris rouverte pour l’occasion, avec sous-titres français, à partir du 24 juin.
23 juin 2011