The Way Back
Peter Weir
par Damien Detcheberry
En 1940, une poignée de prisonniers s’évade d’un goulag de Sibérie et parcourt plus de 10 000 kilomètres à travers l’enfer de glace sibérien, les plaines de Mongolie, le désert de Gobi et la chaîne de l’Himalaya pour atteindre enfin l’Inde et la liberté. Voici un sujet idéal pour marquer le grand retour de Peter Weir (Dead Poet Society, Witness, Master & Commander, The Truman Show, The Year of Living Dangerously), cinéaste obsessif et de plus en plus parcimonieux, après huit ans d’absence. Il y a 25 ans, sur le même thème l’homme confronté aux éléments il avait d’ailleurs réalisé son plus beau film à ce jour, The Mosquito Coast.
Sur le même thème, à une différence près : Allie Fox (Harrison Ford), incarnation paradoxale d’idéal rousseauiste et d’expansionnisme américain, ingénieur visionnaire, mais désabusé par l’American Way of Life, quittait le Midwest américain pour emmener sa famille en pleine jungle d’Amérique centrale, afin d’y vivre le rêve des pionniers du Nouveau Monde et de construire un paradis à partir du chaos. Plus que l’homme face aux éléments, c’était la confrontation entre cette nature idéalisée par l’homme et sa brutalité véritable qui donnait au film son étrange complexité. Dans The Way Back, le besoin de fuite est plus viscéral, plus élémentaire rester au goulag signifie la mort. La nature n’y est jamais idéalisée, même si elle garde, dans la première partie du film, cette aura de mystère qui en fait un personnage à part entière, mythique, invisible et menaçant. Comme l’annonce le commandant du camp aux nouveaux prisonniers : « ce ne sont pas nos fusils, nos chiens ou ces fers barbelés qui sont votre prison. La Sibérie est votre prison ». Belle promesse de cinéma
Malheureusement, comme pour ne pas faire d’ombre à ce personnage souverain, les fuyards, eux, ne sont esquissés pendant ces séquences d’introduction qu’à travers des stéréotypes qui vont déterminer leur comportement pendant la longue traversée : bonté (Jim Strugess), cynisme (Ed Harris), instinct de survie (Colin Farrell), humour (Dragos Bucur) Il manque à cet échantillon d’humanité une dimension supplémentaire, l’ironie qui avait justement su faire de The Mosquito Coast une satire acerbe du colonialisme américain jusque dans ses meilleures intentions. Rien de tel ici : si l’intention humaniste est louable montrer la solidarité des êtres dans l’adversité The Way Back fait preuve d’une linéarité inaccoutumée chez Peter Weir, et au final décevante. La faute, peut-être, à un savoir-faire trop hollywoodien. La résistance divine de la nature cède progressivement sous les coups de théâtre et les procédés narratifs plus ou moins réjouissants, comme la découverte inopinée de colliers d’herbes qui chassent miraculeusement les moustiques sibériens. Difficile alors de vibrer pleinement pour des personnages sans profondeur, perdus dans un environnement hostile, mais dont on sait par avance qu’il sera surmontable par des astuces de scénario.
Dommage. Ces artifices rendront d’autant plus nostalgiques ceux qui ont été marqués par la beauté cruelle des montagnes de Yol de Yilmaz Güney (Palme d’Or, 1982), le charme sauvage de la Sibérie de Dersou Ouzala de Kurosawa (1975), ou tout simplement par la richesse clandestine d’une nature qui a tant fasciné Peter Weir, de Picnic at Hanging Rock jusqu’à Master & Commander. On se consolera avec des paysages magnifiques et un bel ensemble de comédiens mené par Ed Harris, qu’on ne se lasse pas de voir à l’écran. On pourra aussi par la suite voir - ou revoir - The Mosquito Coast pour avoir de nouveau envie d’attendre avec impatience le prochain film de Peter Weir. Avant la prochaine décennie, s’il vous plait.
20 janvier 2011