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Critiques

The Wind that Shakes the Barley

Ken Loach

par Rachel Haller

Cinéaste engagé et indigné, Ken Loach a mis depuis son premier film sa caméra au service des plus petits. On pense au buveur impénitent de My Name is Joe, à la mère Courage de Ladybird, aux chômeurs au long cours de Raining Stones…. Son regard aigu et si parfaitement humain sur les bras cassés du royaume de la rentabilité a ému, provoqué, interrogé. Et lui a valu une réputation méritée. Malheureusement, serait-on tenté de dire, le réalisateur britannique s’est aussi essayé, parfois, à arpenter l’Histoire: la Guerre d’Espagne dans Land and Freedom, le régime nazi dans Fatherland ou encore le mouvement sandiniste nicaraguayen dans Carla’s Song. Bilan de l’exercice: Ken Loach est avant tout un excellent portraitiste du monde ouvrier contemporain. Ce sont leurs joies et leurs peines, traquées sans lourdeur, qui lui ont permis de dépasser les limites rigides du film à thèse.

Qu’en est-il alors de son dernier né, The Wind that Shakes the Barley, un retour sur l’Irlande des années 20 et de sa guerre d’indépendance? Malgré sa Palme d’or, il confirme le verdict. Encore une fois, la matière historique pousse la démonstration à l’emporter sur l’émotion. Non que la démonstration soit maladroite, au contraire. Elle se joue finement du prêt-à-penser et des effets de manche. Quant à l’émotion, elle bat la cadence, de la première à la dernière mesure. Mais elle découle d’une construction dramatique assujettie presque totalement au propos: les ressorts pervers de la guerre. En l’occurrence, les prémisses du conflit fratricide irlandais, relayé par deux frères (!) finalement ennemis, Damien et Teddy. De leur alliance initiale à leur déchirement brutal se dessine la spirale de toutes les luttes meurtrières: le primat de l’idéologie sur la vie.  Qu’il s’agisse de l’expansionnisme britannique, des idéaux marxistes de l’IRA ou des conciliations des nouveaux nationalistes. Ken Loach ne choisit pas son camp (ou presque), il distribue les rôles et les événements comme autant d’arguments. On comprend la position peu enviable des Black and Tans anglais, des supplétifs souvent peu entraînés, débarqués par bateaux entiers. On adhère aux velléités indépendantistes et égalitaires des uns et au désir de limiter les dégâts des autres. On conçoit  même la violence comme dernier recours contre l’oppression. Tant et si bien que l’Histoire finit par supplanter l’histoire.

Pourtant il y en a une, d’histoire. Celle de Damien  (Cillian Murphy, 28 Days Later, Breakfast on Pluto), l’«idéaliste réaliste» qui s’apprête à rejoindre Londres pour y exercer la médecine mais opte finalement pour la lutte armée. Celle de Teddy (Padraic Delaney, un inconnu au bataillon), membre actif et charismatique des forces révolutionnaires de l’IRA. Celles aussi de Dan, de Sinead, de Dunica et des autres, tous lassés de plier sous le fouet anglais, alors que l’Assemblée irlandaise a été constituée un an plus tôt. Ils s’organisent et résistent avec un courage exemplaire. L’un est torturé, l’autre exécuté. Rien n’y fait, la lutte continue et commence à suivre une logique qui les dépasse. Pourtant, ils ne quittent que rarement leur statut de pion sur l’échiquier du film. Leurs gestes, leurs paroles trahissent de bout en bout la finalité. L’identification devient difficile et les rouages que plus apparents. Dommage, car il y avait là une matière magnifique. The Wind that Shakes the Barley n’en reste pas moins une très belle leçon d’histoire…

 

 

 


15 mars 2007