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Critiques

The World’s End

Edgar Wright

par Helen Faradji

Ils sont cinq. Cinq anciens amis, unis surtout par le souvenir, 20 ans plus tôt, d’une beuverie mémorable, mais inachevée, dans la petite ville de Newton Haven en Angleterre. L’un d’entre eux, l’éternel ado, le blouson noir d’opérette jamais revenu de cette soirée, est resté sur place, pendant que les autres ont accepté, loin de là, de se plier aux normes de la vie adulte. Mais cette fois, c’est décidé, le rebelle sans cause va les convaincre, non seulement de revenir, mais en plus de finir ce à quoi, ados, ils avaient  échoué : boire dans chacun des 12 pubs de la ville. Mais est-ce vraiment l’alcool qui leur fait voir les villageois si robotiques ?

L’idée est évidemment mineure, comme l’étaient celles de Shaun of the Dead et d’Hot Fuzz. Un village britannique dont les compères Wright/Pegg/Frost (respectivement réalisateur, scénaristes et acteurs) moquent sans détour l’apathie, la mollesse, l’uniformité ; des personnages archétypaux ; un bon gros détour par le genre bis (cette fois, le film d’invasion extra-terrestre, après le film de zombies et le buddy movie) : et pourtant, toute simple et usée qu’elle est, la formule fonctionne.

Car si le trio britannique ne brille pas par son inventivité rocambolesque, il a su faire sa marque, étonnante et énergique, par sa façon de détourner les codes du genre choisi en les plongeant dans une mixture savamment travaillée de banalité et de quotidien. Pas d’héroïsme, de personnages sur-humains de beauté ou d’intelligence, de trafic en tous genres : dans l’univers revu et corrigé façon Wright et Pegg, monsieur et madame tout le monde ont eux aussi leur chance de devenir ceux par qui le salut arrivera. Et personne ne les regardera de haut. Dans un merveilleux monde de l’humour où le rire, notamment en Grande-Bretagne, se pratique bien plus volontiers en jaune (Ricky Gervais) ou en noir (Sacha Baron Cohen), les trois énergumènes font figures d’insolites justiciers pratiquant le rire blanc.

Non pas celui qui, calqué sur l’écriture, s’épurerait au maximum pour mieux atteindre son but, mais celui qui se fait chevaleresque, sauvant de son acerbe moquerie la veuve, l’orphelin, l’homme normal… et sa dvdthèque. Car, à bien y regarder, il serait plus facile de rapprocher Wright et Pegg d’un Spielberg ou d’un Abrams que des ZAZ ou de Mel Brooks. Des geeks, des passionnés au cœur tendre, de vrais amoureux nostalgiques, des cinéphiles prêts à tout pour que ne meurent pas l’idée même d’un certain cinéma plus enclin à exister sur VHS qu’en Blu-ray : voilà ce que sont les deux compères, refusant l’ironie ouverte, le détournement de codes et de figures graveleux ou la satire tous azimuts pour mieux contourner par la bande, en douceur et avec imagination, les impératifs du genre devenus clichés. Oui, la bande des cinq sauvera le monde. Mais elle le fera saoule. Oui, l’anti-héros trouvera un sens à sa vie. Mais en s’inscrivant dans un autre genre (dans une scène finale aussi jouissive que fûtée).

Ainsi encore, la mise en scène de The World’s End multipliera les effets de style mais sans jamais chercher l’ostentation m’as-tu-vu, lui préférant simplement la création d’un véritable dynamisme, socle de toute comédie et de tout bon film de genre. De la même façon, on pourra toujours s’amuser à compter les clins d’œil et autres références (de MTV au western, de They Live à The Hangover, de Stepford Wives à Trainspotting…), mais le film témoignera d’assez de fond (les illusions de la jeunesse, le droit à l’erreur, les dangers de la perfection, ce qu’implique devenir adulte – Spielberg, disait-on) pour que l’empilade ne paraisse jamais vaine.

Attachant et sympathique, drôle, foncièrement nerd et même touchante : la comédie repeinte en blanc par Wright et Pegg fonctionne peut-être de façon systématique. Elle n’en reste pas moins revitalisée avec cœur et honnêteté. Dans le monde du LOL, c’est déjà énorme.

La bande-annonce de The World’s End


22 août 2013