Tout sur moi, saison 3
par Pierre Barrette
La vie, la vie proposait un regard neuf sur la comédie et le téléroman, offrant en quelque sorte une synthèse des genres où gravité et légèreté arrivaient à cohabiter de la manière la plus naturelle; Tout sur moi fait de même, mais ajoute à ce mélange maîtrisé un ingrédient plutôt inusité : les personnages de la série portent leurs propres noms, vivent et agissent « comme si » leurs personas d’acteurs et de créatures fictionnelles ne faisait qu’une, entraînant le téléspectateur dans un monde biface qui même s’il flirte parfois avec le voyeurisme réussit la plupart du temps à produire des effets charmants, qui ne se limitent heureusement pas à l’humour. Il y a en effet quelque chose d’assez fascinant et de très actuel dans cette manière de refuser le clivage historique entre les domaines du réel et de l’imaginaire, un clivage que, notamment, l’auto-fiction en littérature explore depuis plusieurs années. Stéphane Bourguignon, qui est aussi romancier comme on le sait, insuffle de la sorte à l’écriture de la série une dimension réflexive, une attitude rare dans le contexte de la production télé, sans pour autant que cet aspect de son écriture n’altère la vivacité habituelle de son propos. C’est qu’en fait le tout se présente de manière très ludique, tel un immense clin d’il, et opère en toute intelligence avec l’esprit critique du téléspectateur, qui s’amuse en quelque sorte à être faussement dupe du procédé.
Les amateurs de séries américaines, et en particulier les adeptes de la chaîne câblée HBO, ont tout de suite reconnu, dès les premiers épisodes de Tout sur moi, l’empreinte de Curb Your Enthusiasm, possiblement la sitcom la plus originale de la dernière décennie, avec son mélange de réalité et de fiction Larry David, le concepteur et acteur principal de la série, y interprète le rôle de Larry David son humour décalé et pince-sans-rire, sa manière de convoquer à tout venant des caméos qui contribuent à fondre encore un peu plus les registres. À l’ère de la téléréalité et de la systématisation du second degré, ce sont là deux exemples des voies parallèles empruntées par les auteurs, confrontés à ce qui ressemble de plus en plus à un essoufflement de la fiction, visible désormais non seulement dans les uvres d’avant-garde, mais au cur même de la production la plus « populaire ».
Mais tout cela pourrait être bien artificiel et même un peu vain si ce n’était de la qualité de l’écriture télévisuelle de Bourguignon, son sens aigu du dialogue, la manière caractéristique dont il construit chaque scène avec doigté, jouant avec parcimonie d’un humour qui n’est jamais facile ni télescopé, comme c’est si souvent le cas dans nos chères sitcoms. Il n’hésite pas par exemple à transformer tout un épisode de la série en comédie musicale, ce qui donne en retour l’occasion aux comédiens de montrer une étonnante palette de talents. Macha Limonchik, qui tient le rôle principal et pour qui, manifestement, la série a été écrite elle est la conjointe de l’auteur dans la vraie vie possède pour sa part cette qualité assez particulière de toujours donner l’impression d’être sur scène comme dans la vie, un peu perdue, en décalage par rapport à son rôle, ce qui semble dans le contexte tout à fait approprié un peu à l’image du téléspectateur incrédule et amusé devant un tel jeu de la vérité, aussi étonnant que séduisant.
25 mars 2010