Toutes nos envies
Philippe Lioret
par Apolline Caron-Ottavi
Philippe Lioret nous a habitués récemment à un cinéma populaire de bonne qualité, à ce qu’il se fait de plus intelligent dans les drames sentimentaux français, avec des films toujours propices à une réflexion sociale. Après Welcome (2009), son dernier film Toutes nos envies est plutôt décevant : moins ramassé, moins original, et moins crédible. Moins crédible à l’image du personnage de Vincent Lindon, qui joue à nouveau pour Lioret une figure rassurante, à la fois paternelle et d’amoureux platonique : mais autant le maître nageur de Welcome était convaincant, autant l’on a un peu de mal à croire au juge et entraineur de rugby de Toutes nos envies. Il y a deux personnages en un, mais ils ne semblent pas réellement se rencontrer. Tout le film est un peu à l’image de cette émulsion ratée : Lioret multiplie les histoires et les intrigues, mais ne parvient pas vraiment à les faire tenir ensemble. Tiré d’un livre d’Emmanuel Carrère (D’autres vies que la mienne), le film raconte le combat de la jeune juge Claire (Marie Gillain) contre le crédit et le surendettement, combat qui débute lorsqu’elle rencontre la mère en difficulté d’une camarade de classe de sa fille, qu’elle finit par héberger chez elle, car cela lui rappelle sa propre enfance. Mais bientôt elle apprend qu’elle est touchée par un cancer incurable, et le dissimule à sa famille. Parallèlement à cela, elle rencontre Stéphane (Lindon), un juge d’expérience, et le convainc de l’aider dans sa lutte au tribunal. Celui-ci entre bientôt dans la confidence de son autre combat contre la maladie, et fait tout pour obtenir devant la justice une issue la plus heureuse possible avant le décès de Claire. On voit déjà à quel point le scénario est chargé, et parmi tous ces sujets, Lioret n’en approfondit pas un particulier, mais les traitent tous de front, ce qui empêche le film de monter en puissance.
On retrouve comme dans Welcome cet alliage du drame individuel et du drame collectif. Mais dans Toutes nos envies, Lioret a du mal à tenir ensemble les deux histoires sur le même plan : il s’efforce de leur donner la même intensité dramatique, et cela tire le film malgré lui vers le mélodrame de piètre qualité, où tous les malheurs du monde s’effondrent en même temps sur les personnages. Cela nous rappelle qu’au cinéma le réalisme n’est pas la réalité : cette conjonction de drames n’est bien sûr pas impossible dans la réalité, mais à l’écran elle ne passe pas. Tout en cherchant à être réaliste, Lioret fait néanmoins un usage excessif du sentimentalisme qui finit par être agaçant. Le film reste trop « propre » pour être crédible : le compte à rebours du cancer finit par guider au pas de course le procès (et les mécanismes judiciaires s’y plient un peu trop facilement), et finalement les douleurs de la maladie comme de l’injustice passent à la trappe. On a l’impression d’avoir devant les yeux une version édulcorée, résumée, et du système judiciaire, et de la souffrance, et de la pauvreté.
Ce qui diffère des précédents films de Lioret, c’est que la part d’improbable de celui-ci vient de ce qu’il véhicule, et non de ce qu’il raconte : dans Welcome ou Je vais bien, ne t’en fais pas, cette part d’improbable, de délire, venait des personnages (dissimuler un décès, traverser la manche à la nage). Ici, elle vient du cinéaste et de sa vision, trop bien pensante. C’est-à-dire que le schéma scénaristique est le même que celui de Welcome, mais inversé : la rencontre entre Lindon et le jeune kurde avait pour origine un sentiment qu’on pouvait soupçonner égoïste, celui de reconquérir une épouse de gauche, alors que dans c’est la rencontre entre Lindon et la jeune épouse qui a pour origine le procès de la femme pauvre. Le drame affectif prend le pas sur le drame social, et c’est là que le film pêche. Ce personnage de mère célibataire défavorisée reste un arrière-plan, une image d’Épinal de la pauvreté, et donne parfois la désagréable impression qu’il ne s’agit que du simple vecteur d’un exercice de bonne conscience de la part de bourgeois de gauches. Alors que dans Welcome, le maître nageur était un personnage complexe qui gagnait en sincérité à mesure que le film avançait, Toutes nos envies est plus manichéen, avec ses « héros ordinaires » prêts à tous les sacrifices.
Ce problème de fond se ressent dans les moindres détails : il y a par exemple souvent dans les films de Lioret un objet qui circule et cache une double intention, un objet à la fonction de transmission, de communication avec l’autre ; ce sont les lettres à Lili de Je vais bien ne t’en fais pas ou la petite bague de diamant de Welcome. Et bien, on ne trouve pas la même force dans la bouteille de parfum de Toutes nos envies que la mère de famille transmet à la mère pauvre pour qu’elle prenne sa place auprès de son mari après sa mort. On est même un peu consterné quand elle lui fait comprendre qu’il faut en mettre sur les seins pour que ça marche Il n’y a pas là l’énergie du désespoir de Claire, mais le désir de Lioret de ménager une part de happy end au film : or cette famille recomposée dont les derniers plans nous sous-entendent qu’elle va bel et bien se créer est un miracle impossible, même au cinéma.
La bande-annonce de Toutes nos envies
15 mars 2012