Train to Busan
Yeon Sang-ho
par André Roy
Le premier film – qui n’est pas de l’animation – du Coréen Yeon Sang-ho, Train to Busan, a fait sensation dès sa sortie, en commençant par les festivals (il a été projeté à Cannes l’an dernier et on a pu le voir à Fantasia). C’est un film de zombies étonnant dont l’action se passe presque exclusivement dans un train. C’est donc aussi un film de train, comme l’histoire du cinéma nous en a donnés à plusieurs reprises, souvent remarquables, tant leur puissance émotionnelle devait être gérée par une mise en scène périlleuse : espace restreint et encombré, temps suspendu, vitesse du train en concurrence avec durée de la narration, etc. Train to Busan est un huis clos troué d’espaces ouverts (les gares), dans lequel le suspense côtoie le mélodrame (le père se suicide pour sauver sa fille et une femme enceinte), l’action se combine à une romance (un couple d’adolescents amoureux), l’angoisse se mêle à la satire (on pourrait prendre le récit comme une métaphore de la menace nord-coréenne, les ectoplasmes en ennemis du peuple du Sud). Tout commence comme dans un bon vieux film social (un père accepte à contrecœur d’amener sa fille à Busan voir sa mère dont il est séparé), qui est très rapidement contaminé par l’horreur (des zombies ont envahi la ville). Père et fille prennent tous les deux le KTX (le TGV sud-coréen) pour Busan, seule ville non infectée[1]. Sauf que le train est occupé aussi par de zombies qui se reproduisent en mordant les humains. C’est donc une lutte pour la survie qui se déclenche, les voyageurs passant d’un wagon à l’autre pour échapper aux monstres. Très vite, le film prend sa vitesse de croisière, ne faiblissant jamais d’intensité (avec un effet de surcharge à la fin), filant dans une tension qui communique une sensation d’étouffement par le lieu clos qu’est le train, lequel à chaque arrêt doit repartir immédiatement pour éviter de nouveaux zombies. Mettez-y un père avec son enfant, des adolescents innocents, un jeune couple avec l’épouse enceinte, puis, en plus des zombies, un homme d’affaires qui fait tout pour ne pas être mordu et qui devient un vrai salaud (allégorie corrosive du monde de l’argent), et vous voilà pris dans les rets d’une opposition brutale entre le Bien et le Mal. L’infatuation qu’aurait pu engendrer cette opposition disparaît au profit d’une virtuosité qui confine à l’abstraction, les effets esthétiques la (ligne droite des couloirs, les éclaboussures rouges du sang, la masse informe des zombies butant contre les vitres, sans parler du suicide du père en ombre chinoise) soulignant encore plus un climat délétère, qui prend l’allure d’une lutte politico-sociale (pour ne pas dire : des classes) évidente. Ce sous-texte symbolique n’empêche pas d’apprécier l’extrême efficacité et la variété de traitement dans les personnages et les actions (les passages de l’intime au spectaculaire, en particulier) et permet de fuir la futilité ou la bouffonnerie que prend souvent le film gore. L’intelligence de la mise en scène de Yeon est hallucinante.
Train to Busan est disponible sur Netflix.
[1] Rappelons que Busan joua un grand rôle dans la guerre de Corée, car elle empêcha le débarquement de l’armée nord-coréenne. On appela ce lieu de résistance le « Périmètre de Busan ».
20 avril 2017