Trance
Danny Boyle
par Céline Gobert
Danny Boyle a toujours ressassé les mêmes thèmes et obsessions depuis ses débuts fracassants (Trainspotting ou Petits Meutres entre amis). La survie, l’intrusion, la supercherie. Que ce soit dans La Plage, 28 jours plus tard, Sunshine, 127 heures ou Slumdog Millionaire, ses héros ne sont pas vraiment des héros, mais des hommes plongés au sein d’un environnement survolté, des addicts de la palpitation cardiaque, des combattants au désespoir. Au milieu de tout cela, Boyle glisse invariablement des attirances crasses, aussi salvatrices que broyeuses de consciences, des amours abîmées par les circonstances et le monde dégueulasse qui les entoure.
Dans Trance, film trompe-l’œil, qui puise ses tours et détours dans la thématique de l’hypnose, tout commence avec Simon (James McAvoy), un commissaire-priseur passionné, directement impliqué dans le vol d’un tableau de Goya. Le cinéaste britannique garde d’ailleurs intact le « romantisme noir » de ce Vol des sorcières – les dédales de l’intrigue dévoilant un genre de triangle amoureux bâtard guidé par les plus sombres pulsions humaines (violence des attachements, dépendance à autrui, passions tourmentées). Mais, dès le pré-générique, Boyle pose à terre les pièces du puzzle à venir : un braquage-éclair, un tableau planqué et une mémoire en lambeaux. À peine les codes du film de gangsters british posés que Boyle les dynamite : bien vite, le thriller annoncé vire à la comédie noire, la comédie noire en trip pop art psychédélique, le trip en brainstorming électro, et le final laisse entrevoir ce qui n’est in fine qu’un grand film de rupture amoureuse.
Qu’est-ce que la réalité ? Qu’est-ce que l’identité ? Rien d’autre que des perceptions, répond dans un sens le film. Boyle, en optant pour des personnages aux destins et souvenirs manipulés et influencés par autrui, met en abyme l’art créatif : le cinéma n’est-il pas également l’expression d’une réalité modifiée? Du regard d’un seul artiste sur une histoire, qu’il transpose à son goût ? Ludique, bien que parfois boursouflé dans sa démonstration de toute-puissance (comme a pu notamment l’être Sunshine avant lui), Trance tente de bluffer son monde : on ne sait qui est qui, qui veut quoi, qui fait quoi. Le tourbillon sensoriel est total, nous balade entre réel et fantasmes, véracité et duperie. Boyle rappelle à ses protagonistes, en même temps qu’à son public, que l’homme n’est qu’une toile de connexions cérébrales, abandonné à des mécanismes psychiques anti-romantiques par essence. Addiction, amour, attraction, rancœur : Boyle met tout dans le même panier. Ce ne sont pour lui que des inductions extérieures, effaçables, oubliables. Des supercheries émotionnelles.
Toute sa Trance tente de prouver son propos : le film revêt ainsi divers genres, ose différents tons, offre aux personnages (interprétés par McAvoy, Vincent Cassel et Rosario Dawson) de multiples visages – tour à tour méchants, gentils, puis ni l’un ni l’autre, selon l’angle d’où Boyle choisit de les contempler. Tout est ainsi permutable, à l’infini. En métamorphose permanente, jamais figé, à l’instar de la vie, des vérités, des consciences, des façons de percevoir, et des manières d’aimer. Trance peut donc être taxé de grand délire mégalomane, toc et criard, Boyle s’y plaçant avec complaisance en Dieu tirant doublement les ficelles – mais pas de coquille vide. Car le cinéaste n’y propose rien d’autre qu’une (prétentieuse?) réflexion masquée sur le pouvoir de la suggestion, l’amour (comme tout le reste) n’étant qu’une idée implantée, une illusion du corps et de l’esprit, provoqué par quelque chose ou quelqu’un d’extérieur à nous.
Une fois le tour de magie effectué, Boyle offre tout de même le choix : il nous reste encore tout notre libre arbitre pour choisir d’y succomber, ou non. Un peu comme le proposait la pilule matrixienne en son temps. « Toute chose commence par un choix», disait Morpheus à Néo dans Matrix Reloaded. Il devait avoir raison.
La bande-annonce de Trance
1 août 2013