Tron Legacy
Joseph Kosinski
par Damien Detcheberry
La machine de guerre promotionnelle Disney se met légitimement en marche pour assurer la sortie en Blu-ray et DVD de sa dernière production de Noël : Tron Legacy bénéficie ainsi de cinq versions différentes, allant de l’édition simple en deux dimensions au prestigieux coffret pour collectionneur contenant tous les formats numériques imaginables, dans toutes les dimensions possibles. De quoi faire pâlir les plus einsteiniens des cinéphiles. Mais avant de s’étendre sur cette suite, quelques mots sur Tron (1982) de Steven Lisberger, qui ressort pour l’occasion dans une version nettoyée et pomponnée. Une fois n’est pas coutume, les studios Disney se sont contentés d’éliminer quelques rayures et imperfections superficielles par rapport à l’ancienne édition DVD (qui date de 2002), sans avoir touché à l’essentiel. Soyons-leur reconnaissants de n’avoir pas succombé ici à la folie du nettoyage à sec numérique, la frénésie réparatrice des vieux films rouillés de l’ère analogique. Une initiative d’autant plus surprenante qu’elle contraste avec l’entreprise massive de lifting moral et esthétique menée par Hollywood sur sa propre histoire, de Tex Avery à Star Wars, qui rappelle qu’à l’instar de beaucoup de comédien(nes), la plupart des producteurs et réalisateurs ne savent plus faire la différence entre restauration et ravalement de façade.
Bref. Après de folles rumeurs sur une entière refonte esthétique de Tron, premier du nom, afin de ne pas agresser les chers petits yeux des spectateurs qui n’étaient pas nés avant Jurassic Park, force est de constater que la restauration du film de Steven Lisberger est une belle réussite, que d’autres studios devraient prendre pour modèle. Avis aux producteurs : livrez sans vergogne des suites à Dark Crystal, à E.T. et aux Gremlins, ces resucées inutiles dormiront bientôt en paix sur les étagères des vidéoclubs de quartiers (qui eux aussi bientôt dormiront en paix ). Mais ne touchez plus à nos souvenirs d’enfants névrotiques abreuvés d’animatronique et de rotoscopie Par pitié ! N’effacez pas les ficelles sous nos Muppets, et laissez donc à Yoda son teint de pomme pas fraîche et sa face figée de Jack Palance en fin de carrière ! Rien ne nous fera oublier que ses effets spéciaux, « révolutionnaires » en 1982, conféraient déjà à Tron l’aspect d’une photocopie de photocopie, une gueule de tract chimérique et trash qu’on se passait sous le manteau pour promouvoir un concert de fond de garage. Avouons-le, enfin : comme on dit d’une personne qu’elle a du charme, tout simplement parce qu’elle n’a pas eu le choix de compenser en humour, en intelligence ou en bonhomie les atouts esthétiques que la nature n’a pas voulu lui concéder, Tron, l’original, le vrai, est aussi moche qu’un costume de scène de Michael Jackson, mais c’est exactement comme ça qu’on l’aime.
On s’amusera donc du fait que les acheteurs du coffret Tron / Tron Legacy se diviseront probablement en deux catégories : pour les nostalgiques de l’original, Tron Legacy fera office de bonus de luxe, permettant de voir à quel point Jeff Bridges n’a plus le visage de sa jeunesse, et accessoirement à quel point Clu l’avatar numérique qui lui tient lieu de Némésis non plus. Pour les autres, ceux qui sont allergiques aux vestiges des balbutiements de l’image de synthèse, ce sera l’inverse. Car cette suite revampée aux hormones numériques, soyons honnêtes, possède tout de même un certain pouvoir de séduction. Parce qu’il emprunte tous azimuts à ce qui a construit l’imaginaire hollywoodien de la science-fiction ces trente dernières années, de Blade Runner à The Matrix en passant par Star Wars, Tron Legacy est avant tout un sympathique rêve de gosses qui voulaient perpétuer le cinéma de papa. D’où le clin d’oeil musical de Daft Punk aux collaborations audacieuses et réussies de Tangerine Dream ou de Vangelis avec le cinéma de science-fiction des années quatre-vingt. En faisant abstraction du manichéisme de cette fable sur le bien et le mal, le Yin et le Yang, on appréciera également la poésie du dilemme qui ronge Kevin Flynn (Jeff Bridges), sa quête éperdue de perfection devenue au fil du temps une méditation sur le fait que la beauté de toute création réside dans sa part d’imprévu. C’est, en substance, cet abîme qui sépare les deux films : Tron Legacy, à la pointe aujourd’hui de toutes les technologies numériques, propose un univers visuel à la pureté cristalline, une intrigue qui coule de source, la vision sombre et froide d’un idéal de beauté artificielle. On peut l’apprécier pour cela tout en lui préférant le charme plus brouillon de l’oeuvre qui lui a servi de modèle.
Damien Detcheberry
7 avril 2011