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Critiques

Trou Story

Richard Desjardins

par Apolline Caron-Ottavi

Disons-le d’emblée : Trou Story est un de ces documentaires « citoyens » plus que cinématographiques. C’est la densité de l’information et l’efficacité du propos qui priment, dans un montage chronologique et rhétorique. Une efficacité d’ailleurs entièrement portée par l’omniprésence du point de vue et de la présence de Robert Monderie et Richard Desjardins : leur marque de fabrique, que l’on trouvait déjà dans L’erreur Boréale, le film du même type qu’ils avaient fait ensemble douze ans plus tôt sur l’industrie forestière. Trou Story se déroule en deux parties assez distinctes : une première, historique, retrace à l’aide d’archives et par un commentaire en voix off les différentes étapes de l’installation minière au Canada et les grands combats qui lui sont liés. La suite du film, où s’enchaînent cette fois de nombreuses entrevues, se concentre sur l’actualité minière récente, ses enjeux économiques, les problèmes écologiques et sociaux qu’elle engendre.

La première cible des cinéastes ? Le silence. Celui qui entoure l’histoire des mines et les arrangements actuels : un flou entretenu, qualifié par les entrepreneurs de « discrétion ». Le silence parfois aussi de la population elle-même, lorsque les citoyens préfèrent oublier ce que contiennent les bacs à sable de leurs enfants pour ne retenir que les salaires et le faible taux de chômage… Le discours très radical et positionné des cinéastes ne peut pas faire l’unanimité, et cela se ressent dans le film : diviser pour mieux régner, expliquent-ils; donner des raisons de se taire aux mineurs, c’est là justement l’une des méthodes de l’industrie pour mieux les exploiter.

S’il demeure véhément, le propos de Desjardins et Monderie est plus complexe qu’une charge contre le secteur minier en soi : ils cherchent à montrer que malgré les progrès et les changements, les populations des régions minières ne sont néanmoins pas aussi respectées qu’elles devraient l’être, et que par ailleurs, les firmes continuent de se décharger de leurs responsabilités : non respect des impôts, négligence de l’environnement, absence de réflexion au long terme… Leur démonstration insiste sur la pérennité du système d’exploitation, la perpétuation des méthodes et des enjeux. Ils anticipent ainsi sur l’attaque que les compagnies minières leur font (et que l’on entend dans le film prononcée par l’une des dirigeantes) : vous êtes tournés vers le passé des mines, vous ne traitez pas des actuels progrès et bienfaits, vous ne voyez que des problèmes désormais périmés…

En développant et insistant sur des points tels que la privatisation, les multinationales, la délocalisation, le poids des actionnaires dans les décisions, l’absence d’investissement dans la recherche pour la santé ou l’écologie, ou les mesquineries pour freiner les mouvements syndicaux, Desjardins et Monderie touchent juste : ils abordent des réalités qui ne sont pas seulement celles du secteur minier, mais tout simplement les mécanismes de domination et les dérives de notre système économique actuel. Ces questions, abordées en filigrane tout au long de Trou Story, pourraient être transposées à bien des secteurs et des sujets.

Trou Story est mené à grand train au son de la voix militante et ironique de Richard Desjardins, puis au gré d’entrevues accolées les unes à la suite des autres. Parfois trop vite même : on aurait aimé (pour une fois !) que le film s’étire un peu dans la longueur, surtout au début, où la densité des informations débitées en voix off empêche un peu de s’imprégner des extraordinaires images d’archives tirées pour la plupart des fonds de l’ONF, et de laisser parler d’elles-mêmes ces silhouettes fantomatiques de mineurs au fond du trou. De même pour les entrevues, qui semblent parfois coupées un peu court, ce qui est toujours gênant, surtout quand c’est l’adversaire qui parle.

Mais ce sentiment de frustration tient de ce que l’ambition de Trou Story d’être un film-somme sur l’histoire des mines est difficilement compatible avec la volonté de condenser – peut-être en vue d’une audience télévisuelle – un travail de recherche pointu et des problématiques nombreuses en un film-choc, appelé par l’urgence de l’actualité (il y a aussi les gaz de schiste, etc.). Cette contradiction est au fond tout à l’honneur des cinéastes… un peu d’indignation pamphlétaire ne fait jamais de mal.

À noter pour ceux qui veulent approfondir : les RIDM (Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal) présentent les 12 et 20 novembre L’or des autres, un film de Simon Plouffe sur les conséquences de l’implantation de la mine d’or à ciel ouvert à Malartic, un exemple abordé à la fin de Trou Story, et qui lui donne d’ailleurs l’une de ses images les plus marquantes : une maison abandonnée qui se déplace dans le paysage, arrachée autoritairement pour bientôt laisser la place à un nouveau trou…

 


3 novembre 2011