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Critiques

Truth

James Vanderbilt

par Éric Fourlanty

Lorsque Dan Rather, l’un des plus prestigieux anchorman de la télévision américaine, prit sa retraite en 2005, après 43 ans de bons et loyaux services pour le réseau CBS, personne ne fut dupe qu’il s’agissait d’un « dommage collatéral » de ce qui fut surnommé le memogate. Première réalisation du scénariste James Vanderbilt (Zodiac, Spiderman), Truth retrace cette sombre histoire où les principes du journalisme d’enquête d’antan ont mordu la poussière face au corporatisme des grands médias.

Rappelons les faits : à l’automne 2004, à quelques semaines des élections américaines, le magazine télévisé 60 minutes affirme qu’en 1972, Georges W. Bush a usé de l’influence de sa famille pour bénéficier d’un traitement de faveur, intégrer la National Guard et ainsi éviter son enrôlement au Vietnam. Mary Mapes (Cate Blanchett), productrice de l’émission, et son équipe s’appuient sur des témoignages et des photocopies de lettres écrites, à l’époque, par un supérieur de Bush. La mise en onde se fait dans la hâte et Dan Rather (Robert Redford) endosse personnellement la thèse défendue par la productrice. Sitôt diffusée, l’émission est la cible d’attaques qui mettent en doute l’authenticité des mémos. L’affaire entrainera la destitution de Mary Mapes et précipitera la retraite de Rather. Le 13 décembre 2004, Bush est réélu.

En 1976, à la sortie de All the President’s Men, Jean-Louis Bory, le célèbre critique du Nouvel observateur, a écrit que Robert Redford et Dustin Hoffman pourraient tenir une salle en haleine en lisant le bottin téléphonique. Ce qu’ils firent. En effet, le film d’Alan J. Pakula regorge de scènes de dialogues au téléphone, de réunions d’équipes et de lectures de rapports. C’est pourtant un suspense haletant et l’un des meilleurs exemples de la vitalité du cinéma américain des années 70. Lorsqu’on voit Truth, impossible de ne pas tracer un parallèle entre les deux films, qu’il s’agisse du sujet ou de la présence de notre homme Bob. Parallèle évident mais déloyal tant les époques, celles des événements comme celles des films qui les racontent, sont différentes.

Truth n’est pas sans qualités mais il n’arrive, bien évidemment, pas à la cheville de All the President’s Men. Dans les deux cas, l’histoire et son dénouement sont connus d’avance, la réalisation est impeccable et les acteurs sont excellents. Mais c’est peu de dire qu’en 2015 le cinéma et le journalisme d’enquête made in US n’ont plus grand-chose à voir avec ce qu’ils étaient dans les années 70. Par exemple, un cinéaste comme Michael Moore n’aurait pas pu, pour le meilleur et pour le pire, exister avant l’ère de l’information-spectacle…

Lors d’une séquence assez anodine de Truth, l’équipe de 60 Minutes tente d’avoir une case horaire et ne l’obtient pas parce qu’elle est occupée par l’émission du Dr. Phil, une vedette télé à mi-chemin entre Oprah Winfrey et le doc Mailloux, qui sévit encore aujourd’hui au petit écran. Situation impensable dans les années 70 alors que, comme le souligne Rather-Redford à Mapes-Blanchett, les nouvelles étaient considérées un service public plutôt que la vache à lait qu’elles étaient déjà.

Produit bien de son époque psycho-pop, le scénario de Vanderbilt nous inflige donc une scène-charnière où Dennis Quaid explique au jeunot de service que Mary Mapes est la fille d’un père alcoolique qui la battait parce qu’elle posait trop de questions. D’où le transfert sur Dan Rather, substitut de papa bienveillant, loyal et qui pose les questions à sa place. Truth est adapté du livre écrit par Mary Mapes, soit. Mais même si Carl Bernstein et Bob Woodward avaient déterré Watergate pour impressionner un père absent ou consolider une estime de soi chancelante, il est peu probable que Pakula en ait fait un pivot de son film. Autres temps, autres mœurs où le human interest n’est jamais bien loin. À moins que ça ne soit la seule justification possible pour un personnage de femme qui, on le voit bien tout le long du film, se débat face à une armée d’hommes – glaciales séquences d’enquête interne qui évoquent Jeanne d’arc face à ses juges.

Hormis ces considérations scénaristiques, Truth bénéficie d’une des forces majeures du cinéma hollywoodien : les acteurs. Mais, même là, ça coince. Acteur minimaliste et injustement ignoré, Redford fut grand mais, plastifié par le lifting, il ne lui reste plus que la voix pour jouer, ce dont il use à merveille. Cela dit, on rêve de ce que le vrai visage d’un Sundance Kid de 79 ans pourrait exprimer… À l’opposé, Cate Blanchett, au sommet de son art, est victime de la présence qu’elle impose bien malgré elle. Quand elle est à l’écran, impossible de regarder ailleurs, même s’il s’agit d’un Jeremiah Johnson quasi-octogénaire. L’actrice australienne occupe l’écran avec une telle intensité qu’elle annihile ses partenaires et incarne, à son corps défendant, la « starification » du combat que son personnage mène. En bout de ligne, Truth devient le Cate Blanchett show, perspective réjouissante pour tout cinéphile mais on est en droit de regretter un temps où des acteurs-vedettes se mettaient au service d’un sujet aussi fort.

 

La bande-annonce de Truth


29 octobre 2015