Turbo Kid
Anouk et Yoann Karl Whissell
par François Jardon-Gomez
« This is the future. This is the year 1997. » On ne pouvait pas vraiment imaginer une meilleure accroche pour annoncer de manière limpide tout le projet derrière le premier long-métrage du collectif Roadkill Superstar (Anouk Whissell, François Simard et Yoann-Karl Whissell), déjà bien connu dans le monde du court-métrage de genre. Projet d’ailleurs attendu de pied ferme par le public d’ici depuis ses présentations à Sundance et au festival SXSW – où il a remporté des prix du public –, comme en témoigne la vente ultra-rapide des billets pour les deux représentations au Festival Fantasia il y a deux semaines.
Mais Turbo Kid n’est pas une parodie. Ce n’est pas non plus un hommage délirant à un genre révolu, comme pouvait l’être le Kung Fury de David Sandberg qui concentrait en quelque trente minutes toute l’essence du cinéma d’action macho des années 1980 en la poussant à son paroxysme. S’il fallait trouver une parenté, c’est plus du côté de Simon Pegg, Nick Frost et Edgar Wright – avec la trilogie Cornetto (Shaun of the Dead, Hot Fuzz, The World’s End) – qu’il faudrait regarder : même volonté de faire un film « à la manière de », comme un pastiche qui réussit à respecter les codes du genre en même temps qu’il s’amuse à les tordre un peu, mais aussi de mettre au centre de son récit une réflexion sur l’amitié qui s’avère étonnamment touchante par moments.
Dans ce futur post-apocalyptique de 1997, la Terre est donc plongée dans un hiver nucléaire et ravagée par d’incessantes pluies acides qui ont élevé l’eau potable au rang de denrée rarissime. Parcourant ces terres dévastées tout en s’assurant de ne jamais se rendre dans le terrain hostile contrôlé par le sadique Zeus, le Kid mène une vie isolée, régie par des règlements sévères, pour assurer sa survie. Jusqu’à ce qu’il rencontre successivement Apple et Frederick – elle naïve et ingénue, lui taciturne et imposant –, qu’il trouve un turbo glove issu d’un temps ancien et qu’il se retrouve mêlé à la résistance qui s’organise contre Zeus.
On remarque d’abord l’inévitable aspect référentiel, qui est en quelque sorte à la base du projet : les réalisateurs évoquent explicitement, en entrevue ou ailleurs, les influences de BMX Bandits, Cherry 2000, du gore des premiers Peter Jackson ou encore des films italiens inspirés par Mad Max. On retrouve ici sans difficulté l’esprit des films de George Miller – narration en ouverture qui expose la situation initiale, ressource naturelle épuisée qui devient une denrée rare (ici, l’eau plutôt que l’essence, notamment parce que le véhicule sur roues transformé en machine de guerre est le BMX plutôt que la voiture), personnages désensibilisés à la violence extrême devenue inévitable depuis l’apocalypse –, mais on pourrait également citer la série Terminator ou les westerns de Leone (pour la figure du cowboy ainsi que les gros plans sur les visages et les armes avant chaque combat). Et ceci sans compter les innombrables références à la culture populaire des années 1980, notamment ce turbo glove du Kid qui ressemble à s’y méprendre au défunt power glove de Nintendo. Placé d’emblée sous le signe de la nostalgie (le générique défile sur une série d’inserts, dans le bunker du Kid, qui montrent des objets rétros tout droit tirés des années 1980), Turbo Kid se sert de cette époque passée et réussit même à se l’approprier plutôt que de s’en tenir aux références vides.
C’est que, heureusement, Turbo Kid ne se contente pas d’être ce « museum of coolness » que décrit Apple lorsqu’elle découvre la maison du Kid. Progressivement, le film dévoile une certaine sensibilité, voire une naïveté, notamment grâce au personnage d’Apple. Et si Turbo Kid a encore à voir avec l’univers de Mad Max, c’est peut-être surtout celui de Fury Road, avec lequel il partage un énorme point en commun : la présence de personnages féminins capables de tenir tête à n’importe qui. Il y a Apple, bien sûr, l’infatigable compagnon de route qui sauve la mise à plus d’une reprise, mais aussi la mère du Kid (avec un caméo réjouissant d’Anouk Whissel). Turbo Kid se donne également le moyen d’être autre chose qu’un film gore et ridicule en mettant de l’avant cette candeur qui anime les deux jeunes protagonistes : le Kid se lit des comics à haute voix, Apple affiche le même émerveillement devant la recherche d’objets à récupérer que face à la bataille et tous deux mettent à profit leur naïveté lors du combat final. Ce sentimentalisme inattendu, qui aurait pu être superficiel ou faux, donne au film une épaisseur supplémentaire qui rappelle également que l’innocence et la candeur sont des vertus qui ont encore leur place au cinéma.
Évidemment, un tel projet demande à être accepté dans ses propres limites : les personnages sont archétypaux, le film ne propose pas de réflexion éthique ou morale sur la violence au cinéma et l’arc narratif est convenu. S’insère dans ce scénario une série de moments inévitables : oui, le méchant aura, avant de périr pour de bon, un dernier sursaut de vie; oui, la vie des héros sera mise en danger à plusieurs reprises; oui, le héros et le méchant partagent un lien intime expliqué à grands coups de flashbacks. On s’amuse néanmoins à voir comment le film reprend à son compte les clichés les plus divers du cinéma hollywoodien – ainsi, par exemple, du dialogue sur la nature des étoiles dans le ciel qui prend rapidement une tournure très terre-à-terre. À ce titre, la performance de Laurence Leboeuf dans le rôle d’Apple mérite d’être soulignée puisqu’elle offre les meilleurs moments, jouant aussi bien la straight woman que la jeune fille candide qui découvre le monde. On pourrait également reprocher au collectif RKSS de se sentir obligé de souligner la distance ironique : ainsi des one-liners inspirants – mais cornys, comme dans tout bon film des années 1980 – dont la validité est souvent remise en question par le personnage qui vient de le lancer, procédé comique qui perd rapidement son efficacité.
Mais qu’à cela ne tienne, parce que Turbo Kid est d’abord et avant tout un film très efficace qui remplit exactement ses promesses. On est bien là devant un film à l’enthousiasme, la folie et l’exubérance débordants et communicatifs qui pallient la plupart des petits accrocs. Le chemin parcouru depuis le court-métrage T is for Turbo est impressionnant. Plus encore l’est la capacité de RKSS à réaliser un film québécois de genre qui tient la route – ce qui n’est pas une mince affaire après les débâcles des dernières années – et qui peut plaire à la fois au public « spécialisé » issu des festivals SPASM ou Fantasia qu’à un plus large public.
La bande-annonce de Turbo Kid
13 août 2015