Two Lovers
James Gray
par Juliette Ruer
C’est un signe d’aisance, certainement, et de talent, sans doute, quand un artiste conserve sa puissance de frappe en explorant un domaine qu’il n’a pas encore abordé. James Gray, dans ses trois premiers films (Little Odessa, The Yards et We Own the Night) était le cinéaste masculin par excellence, celui des coups, des guns et des règlements de comptes. Des histoires d’hommes, de trahison et de loyauté. De plus en plus efficace, il y peaufinait son style tout en demi-teintes, au rythme classique et à l’émotion réaliste; une façon de faire qui s’apparentait à celle des polars américains des années 50, dans lesquels il pleuvait souvent et où le héros avait la gueule de Richard Widmark.
Avec Two Lovers, Gray conserve cette même rigueur, mais il s’aventure dans les dédales si difficiles à parcourir du sentiment amoureux. Le film a été écrit et réalisé par Gray, sur mesure pour Joaquin Phoenix, l’ex-acteur en crise et pour Gwyneth Paltrow, qui joue ici son meilleur rôle, à ce jour.
On suit les battements de cur du personnage de Phoenix; déchiré entre une brune réfléchie (Vinessa Shaw) et une blonde instable; coincé à Brooklyn entre la mer et Manhattan; et étouffant chez ses parents, aimants et inquiets. Avec la brune, Leonard est en terrain de confort et d’évidence, les caresses sont confinées à la maison, le chemin est tracé. Avec la blonde, ce sera les montagnes russes, entre une boîte de nuit et des rendez-vous ardents en plein vent, au sommet de l’immeuble. L’eau et le feu . Ce pourrait être banal, mais rarement une histoire d’amour aura été auscultée avec autant de fermeté, de précision et de lucidité. Sans austérité, ni sécheresse, Gray dresse le constat d’un cur qui n’a pas encore trouvé son rythme. Du rire aux larmes, encore proche de l’adolescence, Phoenix balance sa carcasse d’adulte comme si elle appartenait à un ado hébété. Il est à l’heure des choix, et le film déploie le temps de la délicate seconde avant ce choix. Sous nos yeux, il basculera dans l’âge adulte; et l’acteur est dans le point d’orgue parfait.
Comme souvent chez Gray, certaines scènes traînent au delà de la compréhension pour aller vers l’autosatisfaction; des flics très longtemps cachés dans les herbes dans We Own the Night ou une longue hésitation sur la grève dans Two Lovers. Or ces scènes existent pour que l’on retienne son souffle, que l’on spécule, que l’on s’approche de l’angoisse. On navigue d’ailleurs dans un univers de polar, autant dans le bleu gris mouillé de la couleur ambiante que dans l’insoutenable lourdeur des vies sans éclat. Ainsi, avec assurance, James Gray passe de la tuerie à l’étreinte, mais fait toujours dans le mélodrame émouvant. À la fois intemporel et moderne, Two Lovers mérite dors et déjà d’être revu, pour l’aimer encore davantage.
2 avril 2009