Un baiser, s’il vous plaît
Emmanuel Mouret
par Juliette Ruer
En regardant Un baiser s’il vous plaît d’Emmanuel Mouret, on pense à cet étrange paradoxe qui est que plus on s’éloigne de l’air du temps, plus les idées et les intentions soulevées semblent vraies.
Au bout de quatre films, le Marseillais réalisateur, scénariste et acteur, a vraiment le chic pour tomber pile sur un sujet hors temps (on s’engage à quoi avec un premier baiser?), qu’il traite de façon hors mode (on ne finit plus de le coincer entre Eric Rohmer et Woody Allen). Tout cela est complètement désuet, futile, léger, mais la musique de ce petit bisou reste en tête. Pourquoi ? Parce qu’on est tous des romantiques, parce que Mouret a fait un film qui se tient, à tous les points de vue, et parce qu’avec tous les paramètres, toutes les exigences et toutes les contraintes engagées dans la création d’un film, on ne retient de celui-ci qu’une bouffée de charme.
Alors, que se passe-t-il après un premier baiser? Stop ou encore ? Ça ne vaut pas une thèse mais bien un film, surtout s’il est aussi gracieusement amené. Voilà du vrai marivaudage, où dans un milieu clos (bourgeois, parisien, sans enfants, sans parents, sans responsabilités), on fait incuber des adultes consentants toujours prêts à sauter la barrière. Ce serait une version vieille France de Sex and the City : au lieu de se déshabiller, on parle. Beaucoup, et toujours de manière civilisée. Mais la fonction est la même, le désir et la façon de se dévoiler devant l’autre passe dans les mots plutôt que dans l’effeuillage. Et d’ailleurs la seule fois où Mouret est flambant nu, rien n’arrive !
Mouret décortique les jeux de l’amour et du hasard comme un esthète léger et semble encore s’amuser de tout ce que le cinéma peut lui offrir. Les éléments sont ultra contrôlés, dans une synergie parfaite. Sons, lumière, couleurs, costumes, musique, plans, montage : pas de fausse note. Seul le chapeau péruvien de la merveilleuse Frédérique Bel fait tache, mais c’est fait pour. L’environnement de Virginie Ledoyen sera beige, perles, jupe au genoux et bas clair. Celui de Julie Gayet aura des motifs plus sombres et douillets, une coche au dessus dans la sensualité. Ledoyen a les intonations chantantes et graves de Delphine Seyrig en madame Tabard dans Baisers Volés, Julie Gayet tourne la tête et c’est le chignon banane de Kim Novak dans Vertigo. Encore plus sulfureux. Chaque scène est un pas de deux, sauf parfois quand des tableaux s’en mêlent et deviennent des acteurs à part entière venant souligner les propos Pour décrypter ce film, on peut comme ça accumuler les clins d’il, les à-propos, les coïncidences et les renvois. Dans ce film, un prof de math tombe sur une prostituée qui aime les maths, c’est normal.
Bref, Mouret s’amuse et nous aussi. Et ce faisant, il met à sa main les codes du chassé croisé amoureux français. Il ne les dépoussière pas : on mettrait des rubans et des robes à basques aux protagonistes qu’on pourrait jouer la comédie devant le Roi et Madame à Versailles. Mais il les tourne à sa façon, une bien jolie façon qui rend légères les choses graves et inversement.
8 mai 2008