Un été sans eau
Metin Erksan
par Bruno Dequen
Le récit possède la simplicité des fables universelles. Dans la campagne turque des années 60, deux frères, Osman et Hasan, s’affrontent. Osman, l’aîné, refuse de partager sa source d’eau avec les paysans alentours. Bien qu’il s’oppose à cette décision, Hasan décide néanmoins de protéger son frère en acceptant de se faire condamner pour le meurtre d’un voisin qu’Osman a commis en tentant de protéger son barrage. Pendant son séjour en prison, Osman en profite pour convoler avec la femme de son frère.
Lauréat de l’Ours d’or de Berlin (la première récompense internationale de l’histoire du cinéma turc), Un été sans eau ne semble pas au premier abord se distinguer du tout venant de la production turque de l’époque. Le cinéaste Metin Erksan partage avec ses contemporains cette volonté de faire un cinéma de type néoréaliste et engagé, centré sur les nombreux problèmes agricoles que connaissait alors le pays. Or, si le film s’est à ce point distingué du lot pour devenir l’une des pierres angulaires du cinéma turc, c’est parce qu’au delà de la critique sociale, il est avant tout un fascinant portrait de l’obsession.
Osman est un homme maladivement obsédé par deux choses : son eau et la superbe femme de son frère. Et le film tout entier semble partager son point de vue. Toute petite intrigue secondaire est d’ailleurs traitée avec un sens de l’ellipse qui surprend. À peine a-t-on le temps d’observer l’opposition farouche de la mère au départ de sa fille que le plan suivant nous montre le mariage. De même, deux courtes séquences suffisent à décrire le passage d’Hasan en prison. Vite fait, bien fait, concentrons-nous sur le plus important.
Débarrassé de la moindre distraction, Erksan peut ainsi consacrer l’essentiel des plans à cette eau et cette femme tant désirées. L’apparente redondance des multiples séquences de destruction et de remise en état du barrage de fortune ne font en réalité qu’accentuer une intensité qui retranscrit tant l’absurdité de la situation que la puissance presque sensuelle de cette eau qu’Osman tente de contrôler envers et contre tous. Et ce besoin absurde de possession n’a d’équivalent que dans le désir incontrôlable qu’il éprouve non pas tant pour la femme de son frère que pour ses superbes jambes sur lesquelles se posent sans cesse son regard voyeur et la caméra d’Erkan. Et c’est dans ce rapport purement fétichiste aux deux objets de désir qu’apparaît la folie d’un personnage qui éprouve envers l’eau et la femme un besoin profondément et essentiellement physique. Le film, en adoptant un regard tout aussi admiratif (à travers une superbe direction photo) envers ces deux éléments, s’éloigne de la simple fable moralisatrice ou de la critique sociale et devient plutôt le portrait troublant d’un homme profondément malade.
Ce film est disponible en ligne gratuitement jusqu’au mois d’août à l’adresse suivante :
https://www.theauteurs.com/cinemas/11
Vous pouvez également y découvrir les trois autres films restaurés par la World Cinema Foundation, organisme créé en 2007 par Martin Scorsese dans le but de restaurer des films importants et négligés du patrimoine cinématographique mondial. Les trois autres films disponibles pour l’instant sont Touki Bouki (Djibril Diop Mambéty, Sénégal, 1973), Hanyo (The Housemaid) (Kim Ki-young, Corée du Sud, 1960) et Trances (Ahamed El Maanouni, Maroc-France, 1981).
11 juin 2009