Uvanga
Marie-Hélène Cousineau
par Céline Gobert
Uvanga s’ouvre sur les retrouvailles de parfaits étrangers. Anna (Marianne Farley) et son fils Tomas (Lukasi Forrest) débarquent à Igloolik, petite ville du bassin de Foxe dans le Nunavut, 14 ans après la naissance du garçon. Ils y retrouvent les grands-parents de Tomas, ainsi que Travis, son demi-frère. Leur père vient de mourir, dans de mystérieuses circonstances. Tomas et Travis ne se connaissent pas. Anna et les parents de son ancien amant ne se connaissent plus. Dans le gouffre de ces années passées sans se voir se sont creusées les différences, les rancoeurs, les rancunes. Tomas a grandi à Montréal dans un milieu que l’on devine aisé. Travis a grandi dans un contexte plus défavorisé et au cœur d’une nature aussi magnifique qu’impitoyable.
C’est d’abord ce choc des cultures et ces éducations opposées que narre Uvanga (prix du meilleur film au Festival international du film de Yellowknife en 2013), d’une façon si brillamment nuancée qu’il évite toute démonstration et clichés. Ni le mode de vie occidental et nord-américain, ni celui du Grand Nord, plus proche de la nature et des traditions ancestrales, n’est présenté comme meilleur, comme supérieur à l’autre. Pour autant, aucun des travers des deux éducations et milieux n’est ignoré. Il s’agit du deuxième film des co-réalisatrices après Before Tomorrow qui avait remporté le prix du Meilleur premier film canadien au Festival international du film de Toronto en 2008. La différence ici est que le scénario s’inscrit dans une réalité contemporaine, et non pas dans les années 1840, ce qui offre à voir au monde la réalité actuelle des peuples du Grand Nord : isolement, alcoolisme, sédentarité, machisme. Mais aussi : entraide, respect des aînés, proximité d’esprit et de corps avec la nature.
Idéalement, la société contemporaine devrait prendre exemple sur l’évolution de la relation entre les deux frères : ouverture à l’autre, absence de jugement, réconciliation des peuples (Nord et Sud). Uvanga démontre que nous ne sommes, arbitrairement, que le produit de notre environnement, notre culture et notre éducation, et qu’en conséquence le seul choix qu’il nous reste est de poser un œil bienveillant sur l’autre. Le message sous-jacent du film, développé par Marie-Hélène Cousineau et Madeline Piujuq Ivalu, est d’une simplicité désarmante, mais lâché sans naïveté aucune : la connaissance de soi entraîne le respect de l’autre. La quête identitaire, la découverte de ses origines, le désir de se repentir ou la nécessité de se pardonner sont autant de routes vers la réconciliation avec soi et avec les autres. Uvanga signifie d’ailleurs « moi-même » en inuktitut, renvoyant à ce nécessaire retour à soi, à cette douloureuse mais salvatrice mise en ordre de tous les morceaux éparpillés du soi pour mieux se comprendre, mieux comprendre l’autre, et avancer plus sereinement vers l’avenir.
Si l’universalité de l’histoire aurait pu s’inscrire dans n’importe quel paysage, celui du Nunavut en fait jaillir une puissance évocatrice et symbolique supplémentaire et vient illustrer, par sa rudesse et son sublime simultanés, les contrastes intrinsèques à ces vies. A l’instar d’On the Ice d’Andrew Okpeaha Mac Lean, qui mettait en scène des adolescents inupiaks dans le nord de l’Alaska, le cadre sert de personnage à part entière. Dans ce dernier, le cinéaste trouvait dans la froideur du blanc et l’âpreté des glaces l’écho parfait à la violente culpabilité qui rongeait les deux Inupiaks après la mort accidentelle de leur ami lors d’une dispute. Dans le délicat Uvanga, le chemin des personnages vers une paix intérieure tourmente autant que ce soleil qui ne se couche jamais, se fait aussi calme et solitaire que ces eaux sur lesquelles Tomas, enfant de la ville, chasse son premier phoque.
La bande-annonce d’Uvanga
1 mai 2014