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Critiques

Vaillancourt : regarde si c’est beau

John Blouin

par Robert Daudelin

En 1953, alors que la Ville de Montréal s’apprête à abattre un orme rue Durocher, un artiste de 24 ans, frais émoulu de l’École des Beaux-Arts, décide de le sauver en le transformant en sculpture. Le travail de transformation s’étendra sur plus de deux ans, fera le bonheur de centaines de badauds, et imposera de manière définitive le nom d’Armand Vaillancourt. L’arbre de la rue Durocher fait maintenant partie des collections du Musée national des Beaux-Arts du Québec.

Auteur d’une œuvre multiple, en ses formes (modestes ou monumentales) comme en ses lieux (de Longueuil à San Francisco) et en ses techniques (bois brûlés, métaux moulés), Vaillancourt est un acteur incontournable de la scène artistique québécoise. Dès 1964 le cinéaste David Millar lui consacrait un film produit par l’ONF ; quelques courts extraits sont cités dans le film de John Blouin à l’occasion d’une projection nocturne sur les portes de la grange. Dix ans plus tard, suprême consécration, Francis Ford Coppola filme une scène de The Conversation devant la fontaine gigantesque créée par Vaillancourt à San Francisco en 1971.

Ce Vaillancourt-là est très peu présent dans le film de Blouin. Film né, à l’évidence, de l’amitié qui unit le sculpteur et le cinéaste, Vaillancourt évite le spectaculaire, abandonne la sphère publique que le sculpteur aime bien pratiquer pour un espace privé dans lequel sa parole se déploie avec un plaisir non dissimulé. Armand Vaillancourt est « une grande gueule », mais ici il abandonne son côté « haut parleur » pour le mode confidences. S’il a des milliers d’histoires à raconter, comme il le proclame dès l’ouverture du film, son grand âge (il a 90 ans bien sonnés) lui assure aussi une certaine sagesse, un certain besoin aussi de réévaluer ses choix artistiques, comme ses choix de vie.

Le film de John Blouin se préoccupe avant tout de recueillir la parole de Vaillancourt, comme s’il s’agissait d’une conversation entre vieux amis. Tourné à la campagne, dans la ferme où le sculpteur aime se retirer depuis une bonne quinzaine d’années, le film nous impose d’oublier la grande maison de la rue de L’Esplanade, comme il ne nous permet pas de voir Vaillancourt au travail, à la fonderie ou ailleurs. Avec des airs de film de famille (incluant une certaine complaisance habituelle au genre), avec la nature comme complice permanente, Vaillancourt laisse l’artiste nous parler avec émotion de ses origines paysannes, de sa famille, du travail de la ferme. Mais ce petit cultivateur était « né pour la tempête », comme il aime à le dire, et il est devenu le plus urbain des artistes, témoin de la société industrielle qu’il est prêt à célébrer, mais aussi à affronter avec une énergie magnifique. Bricoleur hors pair, Vaillancourt est capable de trouver partout les formes dont ses œuvres ont besoin pour naître : la leçon avec les emballages de «Styrofoam » qu’il collectionne depuis des années, est exemplaire de cette capacité à trouver le beau là où il se cache.

Le film nous parle aussi de Vaillancourt pédagogue, une facette de son activité moins connue, mais qui le mobilise depuis 1955 lors d’interventions en milieu scolaire auprès d’enfants en bas âge. L’exposition en plein air, improvisée devant la grange aux trésors pour les besoins du film, est un témoignage indiscutable de cet engagement ; c’est aussi l’un des moments les plus réussis du film.

Film de la parole débordante, Vaillancourt s’arrête brusquement sur un très gros plan de l’artiste, silencieux et paniqué de l’être. Et si ce plan unique et lourd d’émotion se termine en un aboiement violent, il n’en est pas moins l’image d’une fragilité précieuse et trop bien dissimulée. Après quoi le film enchaîne avec une sorte d’épilogue, une promenade au bord de la rivière bien sage, avec sa beauté simple qu’il faut savoir découvrir avec le vieux druide qui pose orgueilleusement à la porte de sa caverne. 

Québec 2019 / Ré. et scé. John Blouin / Ph. Nicolas Bilodeau / Mus. Bernard Falaise / Conception sonore : Mériol Lehmann / Mon. Mathieu Bouchard-Malo / 76 minutes / Dist. Les Films du 3 mars.          


       

       


30 novembre 2019