VAMPIRE HUMANISTE CHERCHE SUICIDAIRE CONSENTANT
Ariane Louis-Seize
par Alice Michaud-Lapointe
Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, le premier long métrage d’Ariane Louis-Seize – qu’on pourrait abréger en « VHCSC » si on n’appréciait pas autant la sonorité de ce titre très bien trouvé –, arrive en cette saison d’Halloween pour nous montrer que les films de vampires parviennent, encore aujourd’hui, à se réinventer avec ingéniosité. Exit les années 2010 et la romance aussi tortueuse que soporifique de Bella Swan et Edward Cullen : les vampires adolescents d’Ariane Louis-Seize se révèlent des figures timides et maladroites, qui apprivoisent leur corps et leur rapport au monde dans un mélange de malaise et d’humour noir. C’est ainsi à travers la révolte passive de Sasha (Sara Montpetit), une jeune vampire (de 68 ans !), qu’on découvre l’amusante prémisse qui donne son titre au film : l’adolescente éprouve, depuis sa tendre enfance, trop d’empathie envers les humains pour désirer les mordre. Résultat : ses canines n’ont jamais poussé. Sasha se nourrit dès lors en buvant une quantité impressionnante de « pochettes de sang » – qui ressemblent à des Capri-Sun pour vampires – jusqu’au jour où ses parents (Steve Laplante et Sophie Cadieux) décident de lui refuser ce privilège en la forçant à s’épanouir dans sa vie de prédatrice auprès de sa cousine Denise (Noémie O’Farrell). Alors qu’elle erre dans la nuit, elle fait un soir la rencontre de Paul (Félix-Antoine Bénard), un garçon dépressif venu se jeter du toit du salon de quilles où il travaille.
Vampire humaniste cherche suicidaire consentant n’est pas le premier projet d’Ariane Louis-Seize qui prend le parti d’explorer des personnages féminins marginaux par la voie du surnaturel : l’un de ses premiers courts métrages, La peau sauvage (2016), traitait d’une jeune femme qui se transforme de manière inquiétante et onirique en serpent. Les petites vagues (2018) et Comme une comète (2020) mettaient quant à eux en scène des personnages d’adolescentes face à leurs désirs sexuels naissants, leur envie d’émancipation criante. S’inscrivant dans la filiation de ces deux univers mais avec une portée humoristique plus marquée, ce premier long métrage de Louis-Seize explore les possibilités du récit d’apprentissage à travers le motif de la métamorphose vampirique. À la fois comédie noire proche de La Famille Addams(1991) et portrait générationnel qui évoque la tendresse des films de John Hughes, Vampire humaniste…(abrégeons-le ainsi !) cite ses influences sans se cacher, inscrivant Only Lovers Left Alive (Jim Jarmusch, 2013), A Girl Walks Home Alone at Night (Ana Lily Amirpour, 2014) et Let The Right One In (Tomas Alfredson, 2008) dans une même constellation d’inspirations issues du cinéma indépendant.
Or il ne faudrait pas croire que la vision de Louis-Seize se nourrit de ces œuvres sans développer sa propre grammaire visuelle : l’hybridité des genres, des registres, des tons, de même que les variations subtiles d’atmosphère forment, dans leur symbiose, une esthétique qui n’a rien de brouillon et de laquelle se dégage une forme de joie implicite, d’énergie communicative, comme si on sentait toute l’équipe du film dirigée vers le même but : faire un film de vampires doté d’une âme québécoise, où la beauté du kitsch et l’humour pince-sans-rire brillent de tous leurs fards. Les décors aux accents anachroniques et baroques – où se marient textures de velours, papiers peints ornementés, vieilles lampes d’époque – se trouvent d’ailleurs très bien mis en valeur par la direction photo de Shawn Pavlin, qui mise sur des éclairages tamisés, des contrastes forts et des teintes ocre un peu vintage pour donner à cet univers ténébreux toute sa cohérence.
Celle-ci se déploie d’ailleurs dans nombre d’aspects de l’univers de Vampire humaniste…, qu’on pense au fait qu’il contienne très peu d’hémoglobine ou d’effets gore (comme si cela accompagnait la rébellion de Sasha) ou à celui d’avoir rendu les considérations et problèmes des membres de cette famille de vampires très accessibles, voire parfaitement humains. Que la mère vampire de Sasha vive de la charge mentale et ne veuille pas « chasser seule pour les 250 prochaines années » ne peut que faire sourire ! Ce côté « ordinaire », presque décomplexé, que le film cultive par rapport aux sujets qu’il aborde et à ses personnages n’a toutefois rien d’ordinaire : il est encore rare de voir des écritures scénaristiques qui se permettent d’aborder des sujets tels que le harcèlement, l’intimidation, les idées noires chez les jeunes sans artifices ou précautions sur-soulignées.
Vampire humaniste… est rafraîchissant parce que son discours et son ton sont empreints d’une légèreté teintée de mélancolie (qui permet d’aborder la dépression sans exagération outrancière) et d’une réelle compassion pour le sentiment d’isolement vécu par les deux protagonistes. Leur rapprochement et leur attachement progressifs sont filmés dans la fragilité, l’incertitude, et le détournement volontaire des clichés des rom-com qu’on connaît trop bien. Si le récit aurait mérité une structure interne un peu moins flottante (surtout dans sa deuxième moitié), il demeure que la mise en scène de Louis-Seize ne laisse que peu d’éléments au hasard, celle-ci se trouvant bien ancrée entre le respect de certains codes propres à l’horreur et un désir de travailler les croisements génériques avec créativité et ludisme. Vampire humaniste… résiste en ce sens aux définitions prédéfinies et cultive la richesse des contradictions : il nous entraîne vers l’attrait des demi-teintes, où les métamorphoses intérieures de l’adolescence apparaissent dans leur charme et leurs contrastes sensibles.
18 octobre 2023