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Critiques

Vengeance

Johnnie To

par Marcel Jean

Pas besoin d’y penser longtemps, la vengeance est affaire de mémoire. Wai Ka Fai, le scénariste et éternel complice de Johnnie To, est parti de cette simple idée pour écrire Vengeance, le 50e film du cinéaste présenté en compétition à Cannes en 2009. De ce fait, il a un peu marché dans les traces du Memento de Christopher Nolan, mais on peut bien lui pardonner tant l’ensemble du film ne doit rien au récit super-maitrisé de l’Américain, ni même au soin extrême qu’il apporte à la vraisemblance psychologique de son personnage. Chez Johnnie To, on est ailleurs, plutôt du côté d’une esthétique de la lenteur explosive qui rappelle davantage le western spaghetti (Viva Leone!) que le spectaculaire nolanien. Johnnie To est un lyrique, avant tout préoccupé par les questions rythmiques, au détriment du flot narratif.

Ainsi, on se souvient davantage d’un film de Johnnie To pour une scène ou pour un enchainement de plans que pour ce que cela raconte. C’est si vrai que le cinéaste s’est même permis de réaliser, coup sur coup, deux films racontant à toutes fins pratiques la même histoire : Election (2005) et Election 2 (2006), devenus depuis des classiques du cinéma de Hong Kong. C’est si vrai qu’alors qu’on peine à suivre les méandres de l’histoire de Running Out of Time (1999), impossible d’oublier les deux scènes se déroulant dans l’autobus, lorsque Cheung se réfugie sur la banquette qu’occupe une jeune femme et trompe la vigilance des policiers qui le poursuivent en s’adonnant à un émouvant jeu de séduction avec elle. C’est si vrai que même si l’histoire racontée dans Running on Karma (2003) est bête à manger du foin, avec Andy Lau en culturiste de pacotille portant de ridicules muscles de latex, on reste scotché par les quelques moments de grâce d’une mise en scène baroque et inspirée.

Vengeance ne fait donc pas exception, avec ses scènes d’anthologie – le massacre inaugural; la rencontre des deux trios de tueurs dans le parc; l’affrontement chorégraphié des tueurs utilisant comme boucliers de gros cubes de matières recyclables ; le règlement de compte final – et son récit qui ne convainc qu’à moitié : l’histoire d’un ex-flic devenu restaurateur, débarqué à Macao pour venger sa fille et qui tombe par hasard (Eh! Oui! Par hasard!) sur un trio de gangsters qu’il a tôt fait d’embaucher, leur offrant sa fortune, son restaurant (sur les Champs-Élysées) et une assiette de spaghettis. Embauche d’autant plus cruciale que l’ex-flic, interprété par Johnny Hallyday, se promène avec une balle dans la boîte crânienne, ce qui menace de le rendre amnésique et de contrecarrer toute velléité de vengeance.

Mais on pardonne presque tout à Johnnie To tant le désir de cinéma et le plaisir de filmer sont évidents dans Vengeance, tant la mise en scène s’y affirme comme la valeur suprême et tant les trouvailles s’y accumulent, gardant sans cesse le spectateur en alerte.  Revenons par exemple à cette scène d’affrontement – le clou du film – alors que les trois tueurs embauchés par Johnny Hallyday sont au milieu d’un champ, réfugiés derrière de gros cubes de papiers, armés jusqu’aux dents et encerclés par une quarantaine de mafieux, eux aussi protégés par des cubes qu’ils font lentement rouler devant eux, resserrant tranquillement l’étau sur les trois hommes. Le vent souffle, les papiers volent, le sang gicle… Johnnie To multiplie les ralentis somptueux, déréalise le massacre, organise une sorte de ballet héroïque qui dépasse à l’échelle de son œoeuvre la fastueuse boucherie finale d’Exiled (2006).

Autour de Johnny Hallyday, Johnnie To réunit quantité de ses acteurs de prédilection, de Simon Yam dans un autre rôle de parrain à Suet Lam dans son casting habituel de malfrat trop gras, en passant par les suaves Ka Tung Lam et Anthony Wong Chau-Sang. Et Johnny, il est comment? Johnny, il est très bien! Un revenant, un grand corps un peu figé qui traverse le film sans essayer de trop en faire (c’est le privilège des stars), un regard juste assez absent pour jouer l’amnésie sans problème. Johnny est Johnny et on ne lui en demande pas plus : une silhouette vieillissante dans laquelle subsiste quelque chose d’une grandeur passée.

Le DVD est édité par IFC et contient aussi un « Making of » d’une dizaine de minutes qui n’a guère d’autre intérêt que d’offrir quelques anecdotes.

 


31 mars 2011