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Critiques

Vivarium

Lorcan Finnegan

par Jérôme Michaud

Si certains films demandent assez peu d’effort mental de la part de leurs spectateurs – ce qu’on pourrait appeler des films-machines, prévisibles et fonctionnant mécaniquement en circuit fermé, comprenant en eux-mêmes toutes les réponses aux questions qu’ils suscitent, la fin bouclant parfaitement l’histoire proposée – d’autres convoquent un spectateur actif, constamment sollicité afin de générer du sens pour combler les trous narratifs et sémantiques délibérément laissés. Ces deux pôles, ici schématisés, déterminent le spectre d’implication spectatorielle inhérent aux œuvres d’art.

Vivarium, deuxième long métrage de Lorcan Finnegan, est indéniablement à placer au registre des films demandant au spectateur une approche dynamique puisqu’il gagne à être perçu comme une sorte d’allégorie dans laquelle l’étrangeté n’est qu’une façon détournée d’aborder les enjeux terre à terre de la vie de couple en banlieue. Dans un univers à la frontière des genres, empruntant à la science-fiction et à l’horreur, le cinéaste irlandais élabore un drame familial à l’approche oblique dans lequel chacun des segments cristallise des moments décisifs de la vie domestique telle qu’il la conçoit en périphérie des grands centres urbains. Chez Finnegan, il faut toujours lire entre les images, non les prendre en soi pour ce qu’elles représentent et c’est ce qui fait de Vivarium une œuvre brillante.

Tom (Jesse Eisenberg) et Gemma (Imogen Poots) forment un jeune couple de la classe moyenne souhaitant emménager ensemble. Ils se rendent dans une agence immobilière et y rencontrent Martin (Jonathan Aris) qui les incite à visiter une maison dans un quartier-dortoir entièrement constitué du même modèle d’habitations répliquées à l’infini. Inopinément abandonné sur les lieux par l’agent immobilier, le couple n’arrivera plus à sortir de cet environnement labyrinthique, toutes leurs tentatives les ramenant devant ce qu’il leur faudra dorénavant apprendre à considérer comme leur maison. La mystérieuse agence immobilière aura tôt fait de leur livrer un bébé bien particulier qu’ils devront éduquer en réponse à l’ordre astreignant indiqué sur la boîte de livraison du nourrisson : « Raise the child and be released ».

Dès que le spectateur entre dans la banlieue de Finnegan, il est plongé dans un monde à l’artificialité manifeste, d’où l’idée qu’il s’agit là d’un vivarium expérimental qui n’est habité par personne d’autre que la famille de Tom et Gemma, toutes les maisons avoisinantes étant désertes. Les conditions atmosphériques y sont toujours les mêmes ; il n’y a ni vent ni intempéries et les nuages, plus ou moins semblables, ont une matérialité inquiétante. Même l’acoustique des extérieurs sonne faux, alors que l’écho audible renforce l’impression d’être dans un studio de cinéma. L’éclairage utilisé abonde dans le même sens puisqu’il ne simule pas exactement la lumière du soleil. À cette atmosphère volontairement factice s’ajoutent des personnages qui détonnent face à la normalité de Tom et Gemma. Martin, trop emphatique, trop heureux, ne cesse de déblatérer des clichés risibles alors que le bébé confié au couple grandit à une vitesse ahurissante, devenant un enfant d’âge scolaire en seulement trois mois. Le discours de Finnegan se construit dans cette tension entre la banalité du couple et l’étrangeté de leur nouvel environnement qui dramatise les étapes de la parentalité dans laquelle ils sont plongés de force. Cette imposition de l’enfant est d’ailleurs un marqueur fort qui signale que pour Finnegan le milieu de vie et ses conditions matérielles surdéterminent les possibilités comportementales des individus, comme si la banlieue établissait ses propres règles et qu’il ne serait point concevable de les contourner même si on le souhaitait.

Un double écueil de la parentalité est relevé par Finnegan qui se sert de ses deux protagonistes de façon antinomique. Gemma, à défaut de s’engager dans d’autres activités, est présentée comme une femme faisant preuve d’un surinvestissement dans son rôle maternel, alors que Tom est plutôt érigé en père au désinvestissement manifeste, le travail devenant l’échappatoire à ses obligations parentales. Si la parentalité est bien le cœur de Vivarium, la fragilité du lien intergénérationnel semble en être l’enjeu le plus fondamental. Le film ne cesse de mettre de l’avant l’incompréhension du couple, qui est aussi celle du spectateur, devant l’enfant et son monde parsemé de référents abscons. Pour Finnegan, les parents sont constamment à distance de leurs enfants et les tentatives visant à combler le fossé qui les sépare d’eux sont vaines.

Vivarium propose une vision assez sombre et unilatérale de la vie familiale en banlieue, ce qu’on pourrait d’ailleurs reprocher au film puisqu’il s’agit d’un axe thématique abondamment exploité. Il reste que le second opus de Finnegan se déploie avec panache tout en étant capable d’entrer en profondeur dans des enjeux fondamentaux de société, ce qui en fait une œuvre riche et stimulante capable d’apporter de nouvelles réflexions sur les quartiers-dortoirs bordant les villes.

Vivarium est accessible en ligne sur IllicoiTunesGoogle Play et Amazon Prime.

 


10 avril 2020