Whip it
Drew Barrymore
par Helen Faradji
Il y a toujours eu, il y aura toujours, quelque chose d’intensément touchant attaché à l’adorable personne de Drew Barrymore. Peut-être parce qu’on l’a vue grandir au cinéma, s’abîmer, puis nous revenir en jeune femme singulière, actrice à la beauté et au talent moyens, productrice beaucoup plus avisée (Donnie Darko, Fever Pitch). Peut-être parce qu’on continue à la regarder avec le même regard que posait sur elle tonton Spielberg dans E.T., un regard débonnaire et paternel débordant de tendresse. Toujours est-il que quand la demoiselle avait annoncé son désir de tâter de la réalisation, on avait immédiatement eu envie de la suivre.
On ne sera donc pas surpris d’apprendre que Whip it est à l’exacte image de sa réalisatrice : pétulant, charmant, foutraque, sans une once de sophistication ou de préciosité. En un mot comme en cent, un film et une cinéaste sympas. Pas de quoi se réveiller la nuit, pas de quoi crier à la révélation, mais pas de quoi rougir de honte non plus. C’est qu’on ne peut pas dire que la Barrymore se soit forcée en s’installant confortablement dans l’un des genres les plus classiques et les moins complexes du cinéma hollywoodien : le récit d’émancipation. Jeune fille doit se conformer au schéma familial prévu pour elle, jeune fille découvre un nouvel univers qui lui convient d’avantage (et l’amour), jeune fille devient rebelle, confronte les conventions et fait face à la tempête, jeune fille réussit à assumer son indépendance sans trop faire peur à papa-maman. Toutes les étapes d’une bonne coming-out-of-age story sont là, défilant paresseusement sous nos yeux.
Mais, et c’est bien tout ce qui fait le sel de ce Whip It, la cinéaste en herbe parvient tout de même à épicer sa variation sur le même thème de plusieurs ingrédients atypiques, la rendant du même coup juste assez singulière, juste assez intrigante. Au nombre des chemins de traverse : le roller derby, un sous-texte joyeusement féministe, une bande-son qui dépote, des Ramones aux Breeders, une bonne dose de flamboyance sexy et une poignée d’actrices attachantes et rock’n roll (Kristen Wiig, Juliette Lewis ou Marcia Gay Harden en maman décontenancée), au nombre desquelles la jeune Ellen Page en passe de devenir autant une comédienne affirmée que la caution d’un certain cinéma indy, rigolo et énergique. Pourquoi pas ? Elle a la moue juste assez rebelle, les yeux justes assez vifs, la silhouette juste assez asexuée, juste assez inoffensive.
Sorte de Bambi naïve mais pas farouche, paumée au fin fond du Texas, aussi décalée dans ses goûts que dans ses aspirations, c’est alors elle qui nous fait passer du monde aseptisé et affreusement vulgaire des concours de beauté rose pastel à celui, piquant et rutilant des compétitions de roller derby où sévissent de ravissantes créatures en shorts et collants résille sur roulettes, prêtes à se cabosser le corps pour en ressortir l’âme un peu plus libre. De Like a Virgin, on passe alors à une version lustrée comme un capot de Mustang de Girlfight, des jeunes filles en fleur un peu niaises à des héroïnes tarantiniennes sans peur et sans reproche, le tout dans une bonne humeur débridée qui contamine tout sur son passage. Ni film de filles, ni film d’émancipation, ni film de sport, donc, mais un peu de tout ça passé au shaker de la vision d’une jeune femme bien de son temps, les pieds solidement ancrés dans le sol, speedée à la joie de vivre. On pourra bien bouder devant la mise en scène sans grande imagination ou trouver ce plaisir-là bien superficiel. Mais ce serait comme rester assis tout seul, yeux fermés et bouchons d’oreilles enfoncés au fond d’un concert de rock.
28 janvier 2010