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Critiques

Whitewash: l’homme que j’ai tué

Emanuel Hoss-Desmarais

par François Jardon-Gomez

Un ovni débarque sur les écrans cette semaine : un film anglo-québécois (tourné principalement en anglais et sous-titré en français) qui assume sa nature bilingue, alternant habilement entre l’anglais et le français au gré des conversations – ce à quoi échouait, par exemple, un film comme Funkytown, tourné en anglais mais (mal) doublé pour donner l’illusion d’être en français –, porté par un face-à-face inattendu : Thomas Haden Church et Marc Labrèche. Le tout produit par micro_scope, la boîte de l’heure (derrière les films de Stéphane Lafleur et les succès critiques et publics Incendies, Monsieur Lazhar ou encore Gabrielle) qui sort (un peu) des sentiers battus avec ce film moralement plus ambigu qu’à son habitude.

Whitewash : l’homme que j’ai tué entre rapidement dans le vif du sujet alors que la première scène cadre l’élément central du film : un soir de tempête hivernale sur une route mal éclairée, Bruce Landry (Thomas Haden Church), au volant de sa déneigeuse, frappe un homme qui marche en plein milieu de la rue. Toute la suite du récit alterne entre deux temporalités alors que le présent de Bruce, perdu en forêt après qu’il ait coincé sa déneigeuse dans la neige (bonjour l’ironie!), est entrecoupé de flashbacks qui clarifient la nature de la relation entre les deux hommes. Commence alors le récit d’un homme qui apparaît en confiance (« I’m on solid ground here » dira-t-il dans les premières minutes) et assuré de n’avoir rien à se reprocher, mais se laisse aller à une culpabilité grandissante qui le pousse vers la paranoïa et au bord de la folie.

Dès le générique d’ouverture, le réalisateur et co-scénariste (avec Marc Tulin) Emanuel Hoss-Desmarais cadre la matière première de son premier long-métrage – l’hiver québécois – avec un lent zoom sur un banc de neige en gros plan sur une musique qui rappelle, dès les premières notes, celle de Fargo. Aucun doute à ce sujet, l’ombre du film des frères Coen plane au-dessus de Whitewash, ce qui finit par lui nuire plus qu’autre chose puisque l’influence est, en bout de ligne, trop présente, le modèle trop difficile à émuler. La musique, mais aussi la représentation du froid hostile ainsi que les personnages eux-mêmes… tout semble sorti de l’univers des inimitables frangins. Le tandem Thomas Haden Church et Marc Labrèche ne démérite d’ailleurs pas dans ce registre : le premier est aussi malhabile, pathétique, drôle et attachant que William H. Macy, tandis que le second, cabotin à souhait, offre néanmoins une composition efficace dans le rôle crucial de la victime.

Qui dit film d’hiver dit, forcément, isolement, difficulté d’adaptation et d’habitabilité de l’espace, à ceci près qu’Hoss-Desmarais aborde le tout sous l’angle de l’humour noir, en adoptant le point de vue d’un homme qui ne s’est jamais fait aux rigueurs du climat, mais qui dépend de celui-ci pour survivre. La vie de Bruce prend progressivement la forme d’une tragicomédie sur la culpabilité d’un homme au carrefour de sa vie, qui sait que son destin est à jamais lié à celui de sa déneigeuse, et dont le mode d’action semble calqué sur l’expression anglaise « if you fail to plan, you plan to fail. » Les maladresses se succèdent et donnent lieu à de nombreuses situations loufoques, voire invraisemblables, mais qui nourrissent le ton du film.

La mise en scène exacerbe à plusieurs reprises le rapport violent entre l’homme et la nature, de la scène du meurtre à celles où Bruce peine à se déplacer à pied dans la neige, en passant par la séquence où la déneigeuse file à toute vitesse dans la forêt, coupant branches et arbustes au passage. La dualité lumière/obscurité souligne également cette relation violente qui se joue à l’écran, notamment grâce à la direction photo d’André Turpin qui filme la nuit avec brio (comme ce plan de la déneigeuse avalée par la noirceur tandis qu’elle s’éloigne progressivement avec ses phares comme seule lumière) ou l’utilisation du clair-obscur pour éclairer le visage de Thomas Haden Church dans ses nombreuses scènes en solitaire, coincé dans la cabine de sa déneigeuse. Car, plus encore qu’un drame psychologique sur la culpabilité, c’est bien la mise en scène du combat perpétuel entre Bruce et l’hiver qui est au centre de Whitewash.

Pourtant, quelque chose agace dans le dernier tiers du film. La voix off, jusque-là judicieusement utilisée pour créer un décalage entre le récit recomposé par Bruce et les images montrées à l’écran, se fait progressivement trop insistante et explicative (même si le film en est lui-même conscient, Bruce avouant à un moment qu’il parle trop.) À croire que le réalisateur et scénariste n’avait pas assez confiance en son montage et en la clarté de son récit, ce qui vient nuire à l’efficacité et au rythme du dernier tiers.

Tout, dans Whitewash, est bien exécuté, mais le rendu final est peut-être un peu trop lisse et trop évident, comme si Hoss-Desmarais n’assumait pas jusqu’au bout ses références ou sa volonté d’être décalé, proposant une sorte de happy end ironique qui tombe à plat, là où il aurait pu être encore plus incisif, mordant et grinçant.

 

La bande-annonce de Whitewash


23 janvier 2014