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Critiques

Wonder Woman

Patty Jenkins

par Céline Gobert

Bien plus qu’un sauveur, le super héros est souvent une réponse à un temps de crise, ou de guerre. Voire dans certains cas, un modèle et maître à penser. Ce n’est pas un hasard si sa présence sur les écrans de cinéma a significativement augmenté après le 11 septembre 2001. En effet, le super héros fait écho aux angoisses de destruction et de haine des autres propres à notre époque (des X-Men aux héros torturés de Man of Steel et de The Dark Knight) autant qu’il érige des formes d’espoir face à cette noirceur : le retour à des valeurs d’héroïsme perdues (Captain America), à une solidarité à la cool (Guardians of the Galaxy), ou à une vision de la vie plus légère (Ant-Man, Deadpool). Que débarque dans l’ère Donald Trump Wonder Woman, premier blockbuster avec une super héroïne réalisé par une femme (jusqu’ici Elektra et Catwoman étaient tombées dans des mains masculines) et premier plus gros budget (149 millions de dollars) jamais attribué à une cinéaste, est aussi réjouissant qu’ironique : il est clair que notre époque a désespérément besoin d’un film comme celui-ci. Car d’une part, il offre aux spectateurs un modèle de féminité forte, positive, libre qui s’approprie un attribut jusqu’alors réservé aux hommes : la force physique. D’autre part, il vient revigorer l’univers cinématographique DC complètement anémié depuis les faux pas de Suicide Squad ou Batman v. Superman, dans lequel apparaissait d’ailleurs Wonder Woman, interprétée par l’Israélienne Gal Gadot. La filiation DC de WW est assurée dès l’ouverture grâce à une petite note envoyée par Bruce Wayne à l’héroïne, initiant ainsi le flash-back narratif. Le film débute sur une île paradisiaque et exclusivement féminine qui a vu grandir la petite Diana. Élevée par des Amazones, la future WW décide de s’en aller combattre un ennemi de taille (la guerre) après sa rencontre avec un pilote interprété par Chris Pine.

Signé par Patty Jenkins, notamment réalisatrice du film Monster avec Charlize Theron et de quelques épisodes de la série The Killing, mettant tous deux en scène des femmes de tête, WW fait renaître de bien belle façon la figure iconique de la série télé de 1975 avec Lynda Carter : le sexe de sa super héroïne n’est jamais le centre du récit, ses pouvoirs ne sont pas un objet de tourment, contrairement à Batman et Superman. Ici, le leadership et le courage de l’héroïne sont exprimés positivement, vécus naturellement par tous les personnages du film, y compris masculins, ce qui permet au scénario de mettre en avant non pas le féminisme latent de l’ensemble (ce qui aurait été assez lourd et maladroit, comme dans Star Wars : The Force Awakens qui insistait un peu trop sur le fait que son héroïne soit une femme), mais bien les thématiques inhérentes à l’histoire, similaires par ailleurs à bon nombre de films de super héros : comment trouver son identité dans sa différence et/ou sa supériorité ? Que faire de ses pouvoirs ? L’humanité mérite-t-elle ses sauveurs ?

Finalement, si WW demeure le symbole de l’empowerment féminin (ce qu’elle était déjà dans les années 1970), son militantisme est plus humaniste qu’exclusivement féministe. En effet, l’idéaliste Diana n’en a que faire d’être une femme, et des complexes d’infériorité des hommes autour d’elle, que ce soit quand elle affirme parler plusieurs langues, fait irruption dans une chambre parlementaire ou qu’elle exprime son point de vue politique. Elle bataille pour la justice, la bravoure, l’intégrité. Sur le territoire des Hommes (au sens large), ses forces sont la compassion, et la foi en l’humanité. « Only love can save the world », affirme-t-elle. En plus d’être assez inédite dans le DC Extended Universe (DCEU) biberonné au cynisme, l’innocence du personnage permet à Jenkins de véritablement faire respirer son récit et de renouveler la formule rabâchée du film de super héros (surtout quand il s’agit des origines de ce dernier), que ce soit lorsqu’il utilise l’humour (le décalage de WW, soudainement plongée dans le monde moderne), le mélange des genres ou des jouets cocasses (le lasso magique, qui renvoie aux premières heures plus « dominatrices » du personnage).

Le script, notamment cosigné par Allan Heinberg, scénariste des Young Avengers de Marvel et l’un des rares auteurs de comics à avoir créé un couple gay, déploie un renversement des genres des plus stimulants : c’est la jeune femme qui sauve des eaux le soldat vulnérable, c’est elle qui le surprend nu alors qu’il prend son bain, c’est elle qui s’en sert pour quitter son île et poursuivre son objectif, c’est elle qui le protège des balles. Tout au long du film, Wonder Woman prend ses propres décisions, et agit en fonction d’elle-même et non de ses comparses masculins (qu’elle n’écoute pas) – « I AM the man who can ! », rétorque-t-elle. Cette prise en compte du personnage féminin dans ce genre d’univers n’est encore que trop peu répandue. Prenons Alien Covenant dans lequel l’héroïne n’est définie qu’en fonction des figures masculines qui l’entourent. En outre, la jeune femme de WW n’est jamais sexualisée ni présentée par le biais de ses qualités « de séduction » (à l’inverse de Catwoman…), ce qui n’en fait pas moins un personnage séduisant, indépendant et volontaire, qui se permet une parenthèse amoureuse, ou même une séance d’essayage de vêtements assez amusante.

S’il est question de physique ici, c’est davantage de force que de beauté dont on nous parle, puisque l’héroïne doit surtout, à l’aide de ses super pouvoirs, combattre les desseins diaboliques du dieu de la guerre, ainsi que ceux d’un général allemand (Danny Huston) et du Doctor Poison, une scientifique défigurée (Elena Anaya, découverte chez Almodovar) qui cherchent à créer une nouvelle arme de guerre. Malheureusement, et c’est le gros point faible du film : les méchants (comme les seconds rôles), un peu ternes, sont traités superficiellement. Étonnant, lorsque l’on sait que DC a exploité le filon du méchant fêlé dans toutes ses productions récentes (et carrément érigé l’idée en concept dans Suicide Squad). C’est donc sur Diana/WW que le film se recentre, et il faut l’avouer : dans un univers majoritairement composé de personnages masculins, la voir évoluer est un plaisir de chaque instant, pour ne pas dire le seul plaisir d’un récit somme toute assez convenu. Une WW qui partage la nostalgie d’un Captain America (celui d’un retour à l’héroïsme d’un autre âge, un peu naïf, et dopé à l’amour et à la confiance en soi) et qui, en attendant la Captain Marvel interprétée par Brie Larson et la Batgirl de Joss Whedon (côté DC, qui pourrait avec Whedon  à la barre définitivement se dérider), nous fait espérer un bel avenir pour les super héroïnes de blockbusters qui, parions-le, finira par devenir un genre cinématographique à part entière.


8 juin 2017