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Critiques

X Quinientos

Juan Andrés Arango

par Robert Daudelin

David, le Mexicain, Alex, le Colombien et Maria, la Philippine, rêvent tous de quitter leur lieu d’origine, mais leur destin en a décidé autrement : leurs histoires respectives, aussi différentes que semblables, sont des tragédies, comme l’a bien compris et enregistré le Colombien-québécois Juan Andrés Arango.

Dans la province mexicaine du Michoacân, une vallée paisible où les paysans accompagnent leurs morts au cimetière en chantant : voici le lieu que David abandonne pour devenir ouvrier de la construction sur un chantier de Mexico. Le film de Juan Andrés Arango est déjà tout entier dans ces cinq premiers plans. À part un « Au revoir » du bout des lèvres pour la grand-mère, aucune parole n’est nécessaire pour nous projeter en pleine tragédie : le contraste entre le chant de deuil des paysans et le bruit du chantier qui accueille David nous a tout dit.

X Quinientos est un film du regard où plans fixes, rigoureux comme un tableau, alternent avec de longs périples filmés caméra à l’épaule. C’est cette justesse du regard du cinéaste, son insistance à s’approprier les gens et les lieux, qui donnent au film son unité pourtant mise à l’épreuve par une construction en mosaïque, véritable défi qui aurait pu être fatal à l’entreprise. Mais cette construction, qui à certains moments affiche sa fragilité, est tout à fait pertinente pour nous sensibiliser à l’irrationalité de ces itinéraires qui deviennent, avec une quasi fatalité, des allers-retours tragiques. Aucun des personnages auxquels s’attache la caméra d’Arango ne réussira son « évasion » : le poids du destin pèse plus lourd dans la balance que la volonté de chercher un ailleurs meilleur.

Le quartier populaire de Mexico où échoue David, comme Buenaventura, le village de pêcheurs colombien où Alex tente désespérément de se faire une place après un voyage rocambolesque à Los Angeles, sont filmés avec une telle intensité, une telle complicité, qu’ils acquièrent une véritable dimension documentaire. Le cinéaste est toujours aux côtés de ses héros que jamais il n’abandonne à leur sort : la justesse du filmage, la beauté des images (images nocturnes du quartier sordide de Mexico, images du labyrinthe du village de pêcheurs colombien), sont au service d’une solidarité de chaque instant qui sollicite l’attention complice du spectateur. Jamais démonstratif, sans besoin de proposer un « message », le film tire sa force de ce qu’il montre et des liens qu’il crée dans le temps entre les trois parcours, aussi exemplaires qu’actuels, en ce qu’ils s’apparentent intimement à ceux de tous les déplacés de notre époque, qu’ils soient syriens, afghans ou maliens.

L’épisode montréalais, à première vue plus banal pour un spectateur d’ici, n’en est pas moins emblématique en ce qu’il pose la question de l’intégration et des mécanismes supposés y contribuer. Maria, parachutée à Montréal suite à la mort de sa mère, se trouve une communauté d’accueil chez d’autres jeunes philippins, bien d’ici, mais ostensiblement (et délibérément) marginaux. Aussi bien à ce compte, retourner aux Philippines… Montréal aussi est  filmé comme un ailleurs, vu à travers les yeux de Maria qui, désespérément, y cherche sa place. La cartographie de ses errances montréalaises constitue une autre figure de cette quadrature du cercle qui est le lot de tant de réfugiés. Ici aussi le regard du cinéaste détaille les lieux avec une justesse exceptionnelle, arrivant à y inscrire le point de vue de la jeune femme en mal d’intégration.

Film éminemment actuel, X Quinientos nous parle directement, avec toute la force de conviction qu’une œuvre de fiction peut avoir quand elle est le fait d’un cinéaste capable de se mesurer au réel avec ses outils propres. Les destins croisés de David, Alex et Maria n’ont pas fini de nous interpeller : le tragique de leurs parcours appartient malheureusement à l’air du temps.

 


13 avril 2017