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Critiques

XXY

Lucia Puenzo

par Juliette Ruer

Pas facile, le sujet. Pas commun non plus. Le terrain n’est pas défriché, mais on peut quand même vite s’y abîmer. Lucia Puenzo, réalisatrice argentine, signe un premier long métrage bien dessiné, sans fioritures, sans hésitations, comme s’il avait été conçu d’un trait comme on le fait d’une aquarelle marine. On baigne dans l’eau, d’ailleurs. Le monde aquatique sert de symbole, mais aussi d’accompagnateur, d’apaisant, de limites (ou d’infini) physiques ; un choix éclairé pour soulager ce sujet plombé.

Alex a 15 ans, elle est hermaphrodite. Avec ses parents, elle vit dans une maison bleue au bord de la mer, sur la côte uruguayenne. Un couple débarque, avec leur fils de 16 ans, Alvaro. Son père est un chirurgien plastique qui voit un cas médical en la personne d’Alex. La rencontre sensuelle entre les deux ados, les points de vue qui divergent chez les adultes, une fille qui se voit comme un monstre, un village qui va la regarder ainsi… tout déboule en quelques jours. Et on est dans le temps en marche, on sent que chaque geste et chaque parole peuvent avoir des conséquences pour la route à prendre. On en sent l’urgence et l’importance. Laquelle choisir ? L’option médicale socialement acceptable qui n’envisage que deux sexes ou la personnelle, déroutante à vie, qui permet de créer son genre à soi ?

Cette dernière voie, celle du libre arbitre que défend le père d’Alex, est celle qui sera la plus onirique, la moins dévoilée (et pour cause), la plus fragile et la plus difficile. Et c’est celle qui a besoin du support de la mer pour s’exprimer en douceur. Le père d’Alex (Ricardo Darin) se prénomme Kraken, du nom du monstre légendaire, il est biologiste marin, attentif aux bizarreries de la nature et aux tortues blessées. Alex (Inès Efron) se voit comme une créature hors norme, avec un corps qui lui fait peur. D’un côté, la normalisation et de l’autre le trou noir, tout doit basculer. Sirène et triton, elle ne sera bientôt plus sous la protection de son père.

Peu de paroles, parce que trop de pensées et d’anxiété. Mais beaucoup de franchise: le temps n’est pas au qu’en dira-t-on. Voilà un film silencieux qui fait beaucoup de vacarme. Entre tout ce qu’on pense, tout ce qu’on imagine, tout ce qu’on apprend aussi, et le bruit assourdissant de la mer, de l’orage, de la pluie et du vent, c’est un film qui en donne plus que prévu.

Le film a obtenu le grand Prix de la semaine de la critique au Festival de Cannes 2007.


28 mai 2008