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Entrevues

Andrzej Zulawski

par Céline Gobert

L’important, c’est d’aimer, Possession, L’amour braque, La femme publique, Mes nuits sont plus belles que vos jours… le grand cinéaste polonais Andrzej Zulawski est de passage à Montréal pour recevoir un prix honorifique lors du festival Fantasia. L’occasion de s’entretenir avec lui, autour de la notion si chère à son cinéma de transgression.

24 Images: Votre filmographie est très marquée par la transgression des codes cinématographiques, et par des thématiques transgressives. Selon vous, le cinéma d’aujourd’hui transgresse-t-il encore les codes ?
Andrzej Zulawski: C’est une question très compliquée que vous me posez… La transgression, c’est un mot bateau. Qu’est ce que la transgression pour vous au cinéma ?

24I: Bousculer le spectateur à travers de nouveaux codes ou bien porter à l’écran une thématique déjà abordée ailleurs de façon plus  « provocatrice », plus audacieuse …
A. Z.: Il y a ceux qui transgressent parce qu’ils veulent transgresser, ils ont pour but de transgresser et d’en tirer quelques satisfactions – voire quelques profits parfois – dans leur vie, leur carrière et les films qu’ils font. Mais il y a un autre genre de transgression auquel je serais plus facilement affilié : ne pas considérer que le cinéma se compose de genres définis.

24I: Quelle(s) forme(s) doit prendre cette transgression selon vous ?
A. Z.:
La façon de transgresser qui me paraît la plus fertile, la plus utile, c’est de ne pas permettre à un film de s’installer dans un genre et donc dans un code. Ce n’est pas pour «bousculer le spectateur», on ne le fait pas exprès pour épater, c’est une volonté de donner du riche là où l’on peut donner du pauvre.

24I: Et quelle est cette richesse ?
A. Z.:
La richesse, c’est quand on ne s’attend pas au tournant que va prendre le film dans la quinzième minute de projection. Et même lorsque ce moment arrive, vous ne vous dites pas : « ah mais non quand même, d’où est-ce qu’il sort cela ?». Non. Dans l’acte de transgresser, seul acte qui soutienne encore l’édifice du cinéma et qui permette d’aller de l’avant, il faut avoir un énorme respect pour le cinéma. Le moment essentiel pour quelqu’un qui souhaite faire un film qui ne ressemble pas aux autres films, c’est de faire un film qui ressemble à tous les autres films à la fois.

24I: C’est ce que vous avez essayé de faire ?
A. Z.:
Il m’est arrivé de faire des films dans lesquels ce que l’on appelle la science-fiction est mélangé à quelque chose qui s’apparente à une histoire de mœurs, d’amour, ou de couple. De façon terriblement simple, comme dans Possession par exemple où cela se passe, presque pratiquement dans une cuisine. Ce sont des pôles que l’on ne pense pas mettre ensemble. Or, si je ne les mets pas ensemble, mon film sera trop pauvre pour moi, et pour que je puisse le regarder. Je peux regarder des films qui allant de surprise en surprise, en fait, ne me surprennent jamais.

24I:  Justement, y-a-t-il des auteurs, de nouveaux regards de cinéastes, qui parviennent à vous surprendre aujourd’hui ?
A. Z.:
J’avoue franchement que je ne vais pas beaucoup au cinéma. J’ai beaucoup perdu l’appétit, et surtout depuis l’arrivée des nouvelles technologies. Il ne s’agit pas des effets spéciaux qui sont fantastiques, mirobolants et intéressants à regarder, mais plutôt du simple fait que tout le monde puisse prendre son téléphone et faire un film.

24I:  Tourner un film avec ces nouveaux outils : n’est-ce pas, dans un sens, une transgression des codes ?
A. Z.:
Cela en serait une si tous ces films ne se ressemblaient pas. Or, ils se ressemblent. Pour moi, le plus décevant dans le cinéma d’aujourd’hui, c’est la manière de raconter, de monter, de couper, et ces millions de plans que l’on hachure. C’est un nouveau langage, un nouveau lingo, qui s’est formulé, et qui me déçoit énormément. Au bout de la cinquième, dixième minute, je sais déjà comment sera le film jusqu’au bout, et je sais ce qu’il va dire.

24I:  Que pouvez-vous dire sur le cinéma actuel ?
A. Z.:
Le cinéma est trop souvent bête aujourd’hui. Tout simplement bête. Pas mal fait, mal joué, ou mal photographié, mais assez stupide oui. La culture de ceux qui font le film est d’habitude très médiocre, ou simplement cinématographique. Cela ne suffit pas.

24I: Aujourd’hui, au Festival Fantasia, vous recevez un prix honorifique pour votre œuvre. Y-a-t-il un film que vous affectionnez plus particulièrement ?
A. Z.:
Je n’ai pas de film chéri, ce sont tous mes enfants. Ils sont tous très différents les uns des autres, même si je le reconnais, je n’ai jamais pu échapper à moi-même. Des gens avertis peuvent reconnaître et dire : «ah ! C’est un Zulawski !» Mais cela peut aussi bien être un film d’opéra comme Boris Godounov, ou un film qui frôle le cinéma d’horreur comme Possession, ou encore un film polonais qui raconte quelque chose de la Seconde guerre mondiale qu’ont vécu mes parents. Je suis content d’avoir pu faire des films aussi différents sans jamais, j’ose le dire tout humblement, me trahir. J’ai toujours fait ce que j’ai voulu faire, et toujours parce que je pensais, à chaque film, que ce serait le dernier, que l’on ne me laisserait pas en faire un autre.

24I: Et cela fait longtemps que vous n’en avez plus fait…
A. Z.:
Oui, pendant dix ans, je ne me suis pas occupé de cinéma. Vraiment pas. Je ne sais pas pourquoi, c’est comme ça. La vie a tellement de choses à proposer que j’ai fait autre chose. J’ai fait de la politique, j’ai écrit des bouquins.

24I: Un projet au cinéma ?
A. Z.:
Oui, Matière Noire. Un film qui «mélange», encore une fois. Un mélange de genres où le côté « génialement impossible » du film de science-fiction a sa place.

Propos recueillis par Céline Gobert dans le cadre du festival Fantasia, le mercredi 24 juillet 2013.


26 juillet 2013