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Entrevues

Entretien avec Bong Joon-ho

par Ariel Esteban Cayer

De passage au Festival international de Toronto (TIFF), Bong Joon-ho a accordé un entretien à 24 Images pour discuter de son dernier film, Parasite.

Je m’intéresse au projet allégorique du film, sur lequel vous travaillez depuis un moment. Snowpiercer avait déjà cette structure de lutte des classes à l’horizontale, tandis qu’Okja offrait déjà une allégorie de l’économie globalisée, fonctionnant au détriment des producteurs et des artistes. Qu’est-ce qui vous attire dans cette forme de narration?

Quelqu’un m’a déjà dit que ces trois films formaient une « trilogie du capitalisme », mais c’est à mon avis une façon quelque peu prétentieuse de les décrire [Rires]. Ceci dit, tous les créateurs et artistes doivent être sensibles à l’époque dans laquelle ils vivent, et nous vivons définitivement à l’ère du capitalisme. Évidemment, la prémisse de Snowpiercer relevait de la science-fiction, et Okja traite d’une créature qui n’existe pas. Des trois films, Parasite est celui qui colle au plus près de la peau.

Pendant Cannes, vous aviez dit être inquiet que le film soit « trop coréen » pour remporter quoi que ce soit. Bien sûr, en le voyant, l’universalité du propos est frappante. Pouvez-vous parler de ce contraste?

En fait, c’était une blague [Rires]. J’ai dit cela lors d’une conférence de presse en Corée, mais les propos ont été repris et déformés dans la traduction des médias internationaux. Ce n’était rien de bien sérieux. Bien sûr, comme l’histoire traite de polarisation et de l’écart entre les riches et les pauvres, elle pourrait se dérouler dans n’importe quel pays du monde. Or, puisque que ces thèmes sont si universels, les détails peuvent être très coréens : les maisons en demi-sous-sols, les magasins de gâteaux taïwanais, et ainsi de suite. Comme le cœur du film est si universel, j’étais confiant de pouvoir faire un film local.

Le film est particulièrement habile dans sa représentation de Séoul : son architecture, sa structure et la façon que la ville a été construite autour de pentes dans une logique verticale. Bien sûr, je ne suis pas au fait de toutes ses particularités, mais pouvez-vous parler de cet aspect du film par rapport à la ville?

Séoul est une ville complexe et bondée – 11 millions d’individus dans une même ville qui présente un immense écart entre les riches et les pauvres. Pour faire simple, c’est une ville très incohérente et c’est précisément à cause de cette incohérence qu’il s’agit du théâtre parfait pour l’histoire de Parasite. Mais dans les faits, la vaste majorité du film a été tourné en plateau : la maison des [Park] comme celle des [Kim], de même que le quartier pauvre qui l’entoure, ont été construits pour les besoins du film. Mais malgré ça, le tout m’apparaît réaliste, et le public coréen ne s’est pas douté que nous avions tout tourné en studio.

Un autre détail intéressant : Kim et Park sont des noms de famille coréens très communs.

40% des coréens portent le nom de Kim, et l’autre 30% est Park. Ce qui ne laisse pas beaucoup d’options. Et 1% de Bong, mon nom de famille est plutôt rare! [Rires] Je voulais démontrer que ces personnages sont des gens très normaux, et que ces gens ordinaires peuvent faire des choses très étranges, jusqu’à commettre des crimes. Je suis fasciné par les gens « normaux » qui font de telles choses. Park est le président d’une multinationale d’informatique : dans le film, on voit la couverture d’un magazine sur le mur, où on peut lire « Nathan Park hits Central Park ». Je me suis amusé avec la rime, et le fait que ce soit un nom coréen qui sonne presque comme un nom occidental. Mais au-delà de l’allusion, Park n’a pas de signification en soi.

Vos films n’hésitent pas à aller jusqu’au bout de leurs idées : celui-ci commence sur le ton de la comédie et prend un virage soudain vers l’horreur, qui m’a beaucoup fait penser au People Under the Stairs de Wes Craven dans sa folie et sa logique sous-terraine. Pouvez-vous parler de l’horreur dans le film?

Wes Craven est décédé il y a quelques années : quelle tristesse! C’était vraiment un des grands maîtres de l’horreur. Tout le monde connaît la légendaire séquence d’ouverture du premier Scream, par exemple : cette poursuite dans la maison, où l’espace est très restreint. Mais la mise-en-scène est très précise, et le rythme du montage est exceptionnel. Dans Parasite, nous avons appelé notre scène équivalente la séquence du ram-don [ramen au bœuf] : il y a un montage parallèle entre le sous-sol, la cuisine, et tout arrive en même temps. Je dois admettre avoir pensé que ce serait génial si on pouvait reproduire l’intensité et le tempo de la séquence d’ouverture de Scream, du moins son rythme et sa sensibilité.

Propos recueillis et traduits par Ariel Esteban Cayer le 9 septembre 2019 dans le cadre du Festival international de Toronto (TIFF).

 

 

 


25 octobre 2019