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Entrevues

Entretien avec Stacey Steers

par Samy Benammar

À l’occasion de l’exposition et du cycle de projections que la Cinémathèque québécoise lui consacre cet automne, 24 images a rencontré l’artiste et cinéaste Stacey Steers.

Depuis ses débuts en 1989 avec Watunna, un film librement inspiré d’une légende Yekuana, population autochtone du Vénézuela au sein de laquelle l’artiste a vécu dans ses jeunes années, Stacey Steers mêle dans ses œuvres d’animation un imaginaire surréaliste à des techniques dont la minutie surprend frame après frame. Dans ses films les plus récents, elle utilise ainsi une technique de collage qui réemploie des figures issues du cinéma muet pour en faire les personnages d’un monde inquiétant, peuplé de créatures rampantes et de corps qui se décomposent en textures tremblantes. À l’occasion d’un large programme présenté à la Cinémathèque québécoise comprenant, outre une rétrospective de ses animations, une exposition sur deux étages et une programmation de films qui l’ont marquée, la cinéaste revient avec nous sur ses techniques et les différentes inspirations qui traversent ses images.

Avant votre projection, vous évoquiez le temps que vous avez passé en Amérique du Sud qui a, d’après vous, fortement influencé votre travail. J’aimerais en savoir un peu plus à ce sujet, mais je me demandais si votre jeunesse à cette époque n’a pas également été déterminante.

J’étais un peu immature et c’est l’une des raisons pour lesquelles cette période m’a tant marquée. Je me constituais en tant que personne en étant immergée dans une culture totalement différente de celle dans laquelle j’avais grandi. Mon compagnon de l’époque était par ailleurs originaire de la région, ce qui me donnait un accès privilégié à cette culture, bien plus que si j’avais été là en tant que touriste. Ce compagnon de voyage m’a initiée à ce monde, et son intérêt pour les communautés autochtones très isolées nous a conduits à vivre dans des endroits complètement déconnectés de l’environnement urbain. Vivre dans des espaces où le 20e siècle n’avait pas eu le même impact qu’aux États-Unis me donnait l’impression d’être dans une capsule temporelle. J’étais à un âge très impressionnable et ces années m’ont, par conséquent, laissé une empreinte encore plus profonde. De plus, je n’avais aucune autre obligation que d’être là et de vivre ce choc culturel. Je n’étais pas encore une cinéaste mais juste une enfant.

Tout votre séjour s’inscrivait dans un mode hippie ou y avait-il d’autres raisons spécifiques pour votre présence sur ces territoires ?

En effet, c’était l’ère hippie et beaucoup de gens voyageaient dans cette direction mais ils n’étaient que de passage, tandis que j’y suis restée. Je n’étais pas une simple touriste, j’ai partagé ma vie avec ces communautés pendant sept ans et j’ai pu construire des relations au fil du temps. Beaucoup de jeunes marchaient à travers l’Amérique à la fin des années 1970, c’était une période intéressante pour être là. J’ai ainsi passé beaucoup de temps au Guatemala et les choses ont commencé à devenir beaucoup plus délicates au début des années 1980 avec la guerre civile. J’ai donc décidé de quitter cette partie du monde en 1983.


Edge of alchemy 

Dans le contexte actuel où l’appropriation culturelle est un enjeu clé du monde de l’art, comment percevez-vous Watunna et Totem qui mettent tous les deux en images des traditions et des mythes autochtones d’Amérique latine ?

C’était déjà un problème à la fin des années 1980. Quand j’ai terminé Watunna, l’un des principaux journalistes en anthropologie de l’époque – probablement un homme blanc privilégié – a écrit une critique étonnamment positive sur le film. Son commentaire portait sur les techniques d’animation qui démontraient une subjectivité flagrante. Il était évident que je prenais personnellement la parole à travers le film et ne prétendais aucunement m’exprimer à la place de ces populations. Je ne sais pas si c’était vrai à l’époque, mais aujourd’hui je dirais que je suis en accord avec cette idée de distanciation mise en place par l’animation. La narration du film est à la première personne et le texte est tiré du travail d’un anthropologue Français, réinterprété par un traducteur américain. Mon frère, qui a fait la traduction du texte, a montré le film à la communauté au Vénézuela et ils ont adoré.

Avez-vous participé à des projections en Amérique du Sud ?

Pas depuis le début des années 1990. Le film avait été projeté dans certains festivals autochtones, ce qui n’arriverait pas de nos jours. Croyez-le ou non, j’ai même eu un prix. C’était juste une autre époque.

Et la voix off a été faite par votre professeur de l’époque, le cinéaste expérimental Stan Brakhage, est-ce exact ?

Oui, c’est Stan Brakhage qui parle, mais les mots ont été tirés d’une retranscription faite par un anthropologue Français ayant vécu avec la communauté Yekuana pendant vingt ans. David Gus, qui était également anthropologue et avait, lui-aussi, passé du temps avec les Yekuana pendant plusieurs années, est responsable de la musique.

Le temps que vous avez passé au Vénézuela vous permettait également d’attester de l’authenticité de l’histoire ?

Je ne les avais jamais entendus, mon séjour avait été trop court pour me permettre de parler leur langue et de comprendre leurs légendes. Mais j’avais cette relation amoureuse dont je vous parlais et qui lui était familier de ces récits. Quand je l’ai contacté, il a beaucoup aimé le film. Le film développe un rapport aux animaux en leur accordant un rôle culturel différent de celui qu’ils ont maintenant. Ils étaient alors au centre du monde, au même titre que les êtres humains tandis qu’on les considère aujourd’hui comme des êtres secondaires. La relation totémique avec les animaux spirituels consiste à se connecter aux qualités de ces espèces pour les absorber et accéder à une vie meilleure. Nous avons totalement perdu cette relation avec la nature. Je me sens vraiment chanceuse d’avoir eu dans ma vie la chance de faire l’expérience de ces connexions primaires et essentielles et de les avoir intégrées à ma personne.


Night Hunter

Watunna est votre premier et dernier film à faire usage de narration, pouvez-vous expliquer le choix de cette voix off et ce qui vous en a éloignée pour le reste de vos films ? Dans Totem, se débarrasser de la voix m’a semblé mettre en place un rapport plus direct, sensible et non verbal à la nature.

Dans Totem, comme vous le soulignez, il y a une transition vers une façon plus organique de travailler, en lien avec mon expérience en Amérique latine dont je voulais parler de manière plus essentielle. Je souhaitais explorer un espace liminal entre conscient et subconscient. Il y a une opposition entre la vision civilisée occidentale et cette vision primaire à laquelle les populations autochtones sont souvent associées. Elles sont profondément impliquées dans le monde qui est immédiatement autour d’eux. L’alphabet est présent dans le film sous forme de lettres détachées, il permet de signifier la perte progressive de notre connexion avec le monde naturel. C’est en tout cas, ma vision des choses, qui n’est pas une vision experte.

Les films de fiction “traditionnels” imposent une langue spécifique nécessaire à leur compréhension ainsi que des structures narratives ou sociales que le spectateur doit avoir intégrées pour entrer dans le film. Parfois, les œuvres plus abstraites sont considérées comme élitistes alors qu’elles sont, en un sens, plus accessibles.

Si vous utilisez des mots, il est facile d’entrer dans le domaine des idées alors que je m’intéressais davantage aux espaces émotionnels et psychologiques et ne voulais pas imposer un ressenti spécifique au spectateur. Les œuvres narratives vous conduisent souvent dans une direction spécifique car elles sont beaucoup plus conceptuelles.

Je voulais également m’éloigner de la nature symbolique du totem qui me poussait à adapter une pensée qui n’était pas la mienne, à mon environnement. J’étais en quelque sorte en train d’extraire des éléments d’une culture qui ne m’appartenait pas pour les examiner. Quand j’ai commencé les films de collage, j’avais l’impression d’être plus à l’intérieur de moi-même en essayant de parler de ma propre expérience plutôt que des choses apprises des populations autochtones d’Amérique latine.

D’une certaine manière, Totem utilise encore les images comme un alphabet, puis vous avez commencé à les traiter pour ce qu’elles étaient : des expériences visuelles. Qu’en est-il du changement dans votre esthétique à partir de Phantom Canyon ?

Je suis revenue d’Amérique latine dans les années 1980 et j’ai passé beaucoup de temps à travailler sur Watunna, ce qui ressemblait à une façon de laver mon corps de cette expérience. Quand j’ai fini Totem, j’avais trois jeunes enfants : c’est en partie pour ça que ce film a pris autant de temps mais c’était aussi un film difficile à faire. J’avais l’impression d’avoir du mal à dessiner et je ne me sentais pas toujours satisfaite de mes choix et de la structure que je mettais en place. L’élaboration du film fut moins amusante que celle du précédent parce que j’aspirais déjà à quelque chose de différent. Après ce film, j’ai réalisé que je ne voulais plus dessiner mais que j’aimais toujours l’animation. Je connaissais des gens comme Lawrence Jordan, Janie Geiser et Lewis Klahr qui faisaient des collages. En étudiant sous la direction de Stan Brakhage, j’étais un peu immergée dans le cinéma expérimental et ce groupe de cinéastes m’a beaucoup inspirée. J’ai toujours eu une affinité particulière avec les images du passé et je commençais alors à voir la possibilité d’employer du matériel historique dans mes films. L’idée originale qui a permis à Phantom Canyon de fonctionner en tant que film, c’est l’utilisation des études de mouvement d’Edward Muybridge. Certes, d’autres films avaient déjà travaillé ces images mais je n’avais jamais vu quelqu’un essayer de créer des personnages avec elles. J’ai commencé à travailler sans me soucier de la structure ou de l’histoire, simplement en jouant avec les formes. J’avais aussi toutes ces images d’oiseaux et de serpents et c’était un moment de création très excitant. Je voyais que la complexité de ces reproductions de gravures pourrait me permettre de développer un environnement visuel très riche sans avoir à dessiner des heures durant. J’utilisais aussi des textures, des superpositions et de la peinture très sommaire. C’était tellement amusant de rassembler ces images, comme les insectes, de les assembler et de les voir prendre vie. Ce niveau de détail est si dur à atteindre quand vous dessinez que le plaisir était décuplé par mes expériences antérieures en animation.

Je travaillais avec ces matières sans vraiment réfléchir. Puis une amie, me voyant travailler, m’a demandé si je faisais un film sur Carlos – l’homme avec qui j’avais vécu en Amérique latine. À la suite de cette remarque, j’ai commencé à utiliser cette idée comme guide pour avancer dans le film. J’avais ainsi produit une bonne partie du film avant d’en faire une métaphore surréaliste re-contant ce que j’avais vécu avec cette personne qui m’avait emmenée loin dans un autre monde.


Phantom Canyon

Je peux sentir, surtout dans Phantom Canyon, un espace étrange entre la vie et la mort, qui me fait penser à la relation entre l’image statique et l’image en mouvement, le photogramme et le film.

C’est dû en grande partie à la fréquence de huit images par seconde que j’utilise, très différente des autres animations de collages qui, à l’époque et encore aujourd’hui, sont pour la plupart réalisées “sous la caméra” avec des morceaux de papier. Dans ce type de production, on se contente de déplacer les images entre chaque prise de vue. Mais, parce que j’étais technophobe et que j’avais beaucoup de problèmes avec les caméras – on parle d’un temps sans numérique -, j’ai décidé d’avoir tous mes cadres sur papier afin de pouvoir facilement recommencer le tournage si je faisais une erreur avec la caméra. Cette décision, motivée par ma peur des appareils, m’a cependant permis de mettre plus de détails dans les collages et de mieux contrôler les images. Mais avec cette technique, il y a des problèmes d’alignements entre les images. Ces micromouvements entre images portent un nom en animation :  “breathing” (la respiration). Le tremblement auquel vous faites référence découle d’un certain manque de fluidité dans l’animation. J’ai appris à aimer cette énergie qui naît à la surface des éléments qui ne sont jamais statiques. J’utilise des ordinateurs dans le processus mais je travaille à la main. Ensuite, je fais d’énormes tas de collages pour finalement les photographier avec une caméra 35mm. L’outillage à l’époque de Phantom Canyon était encore assez rudimentaire, c’est pourquoi le tremblement y est si présent. Night Hunter a été créé avec une application appelée Istopmotion qui n’était pas si géniale, surtout en 2007. Maintenant, j’utilise le logiciel professionnel Dragon Frame mais je me méfie de son efficacité, je ne veux pas aller trop loin et conserver un peu de ces images vivantes.

Cela nous donne également un certain accès au processus.

Oui, c’est un bon point.

Vos films parlent aussi de textures, deux textures en particulier, le papier et le film et je pense que vous êtes toujours attachée à tourner sur pellicule.

Vous savez, honnêtement, je prépare un nouveau film que je fais en numérique. J’ai eu accès pendant des années à un banc d’animation Oxberry, une de ces anciennes machines très imposantes. C’était tellement amusant d’utiliser cette chose mais sa taille a conduit l’Université du Colorado qui me laissait l’utiliser à la démanteler car ils avaient vraiment besoin de la salle de classe. La machine prenait trop de place et j’étais la seule à l’utiliser. Ils m’ont donné la caméra mais je n’ai plus le support. C’était un équipement incroyable qu’ils ont utilisé pendant 50 ans pour produire des œuvres incroyables. On pouvait programmer toutes sortes de mouvements compliqués pour l’époque, mais que le numérique permet maintenant de reproduire très aisément. J’ai quelqu’un qui m’aide à faire en sorte que ma nouvelle animation ressemble à du 35mm et même si ça reste différent, le rendu esthétique s’en rapproche.


Watunna

Pour poursuivre avec la technique, pouvez-vous m’expliquer le processus d’extraction des images de films et leur mise en mouvement dans vos animations ?

Je travaille à partir d’une copie numérique ou DVD. Avant, j’utilisais un programme qui me permettait de diviser les films en chapitres pour ensuite sélectionner les séquences qui m’intéressaient. Je l’utilise toujours mais son obsolescence va finir par me forcer à trouver une autre méthode de travail. Une fois les séquences triées, je les identifie simplement par types de mouvements. Et puis quand j’anime, je regarde ces petites séquences minuscules et sélectionne ce dont j’ai besoin. D’une certaine manière, il y a une part de hasard lié à ce qui m’interpelle à un moment très précis. Parfois, le processus est très laborieux parce que je ne suis pas satisfaite par mes images, malgré leur grand nombre. Ensuite je décompose le mouvement en images uniques que je retravaille sur Photoshop avant de les imprimer. Je retravaille au besoin la pixellisation en augmentant le nombre de points par pouce.  C’est vraiment technique, mais je me suis rendu compte que 250 dpi était l’idéal. Comme ça, ils ont l’air très doux et ils n’ont pas l’air pixelisés.

En général, le 72 dpi dans lequel sont vos images natives correspond à une définition pour le Web tandis que le 300 dpi est privilégié pour les impressions.

Exactement, mais étrangement 250 fonctionne mieux que 300 pour mon travail. Et puis je les imprime en petite taille pour éviter les gros pixels. Donc, elles ont toutes des proportions d’environ quatre pouces par cinq et demi. Et puis, je découpe les corps du cadre ou me contente de couvrir ce que je ne veux pas de l’arrière-plan avec d’autres éléments. Je maintiens ensuite ma feuille de papier en place et ajoute les éléments un à un. Parfois, je laisse certains éléments du plan original en plus des personnages. C’est à peu près tout, vous pouvez maintenant faire mon travail à ma place !

J’ai été frappé, lors de la projection, par les différentes échelles dans votre travail. La première différence est celle entre la minutie de votre travail et le résultat projeté sur grand écran qui donne cette texture si particulière. Dans l’exposition, les objets optiques à l’étage semblaient presque trop réels pour ce monde miniature. Ou au contraire, la maison de poupée est une miniature à l’échelle du réel, mais gigantesque pour une reproduction de ce type. D’autant plus qu’elle renferme en elle tout l’univers de Night Hunter.

J’aime l’idée de ramener l’espace fictif à travers un objet tangible et emblématique extrait des films. Et puis offrir cette expérience des mêmes images à une échelle très différente change le regard. C’est une perspective plus personnelle parce que c’est juste vous qui regardez les images, sans médiation. Ce n’est pas comme si vous étiez dans un théâtre puisque ce rapport est toujours étrange et disproportionné mais on s’en rapproche. Les lits empilés sont ainsi une structure impressionnante mais le film qui est projeté sur l’oreiller est tout petit, ce qui crée un rapport d’intimité avec le spectateur. Le film se redéfinit ainsi en apparaissant dans des contextes différents. Les films sont parfois difficiles à suivre et ce contexte peut aider les spectateurs à mieux s’en imprégner. Tout le monde aime voir des objets.  C’est la même chose pour les collages qui donnent un accès au processus de création du film. C’est malheureusement très coûteux de déplacer ce type d’installation. On m’invite beaucoup à montrer les films mais moins souvent à déplacer les œuvres qui les entourent.


Totem

En parallèle de votre travail, la Cinémathèque vous a également invitée à proposer un programme des films qui ont été importants dans votre travail, on y retrouve, entre autres, L’esprit de la ruche et Sunrise. Quel est votre rapport à ce cinéma ?

J’ai pensé qu’il pourrait être intéressant pour les gens de voir certains des films dont j’avais choisi des images. On présente ce soir Broken Blossom, le premier film de Lillian Gish, qui m’a vraiment inspirée. Je l’utilise aussi dans mon prochain film. Pour être honnête, je n’ai pas de rapport particulier avec ces films. Ils ont été pour moi des ressources matérielles. Sunrise sera accompagné de Edge of Alchemy qui reprend des images de Janet Gaynor.

Ces films ont tout de même un fort pouvoir d’évocation.

Pour vous et pour moi, oui ils en ont un, pour les cinéphiles et les étudiants en cinéma également. Mais la plupart des gens n’ont aucune idée de l’origine de mes images. Ils ne savent pas qui sont Janet Gaynor ou Mary Pickford, ce qui me surprend un peu. Cette dernière est tout de même une grande figure historique. Même si je pense que Janet Gaynor est une bien meilleure actrice, on entend peu parler d’elle. Mary Pickford, en revanche, était une force de la nature. Elle a lancé United Artists, écrit ses propres films et toujours choisi les scénarios des films dans lesquels elle a joué. Mais aujourd’hui, beaucoup de jeunes n’ont jamais entendu parler de Mary Pickford. J’ai découvert tout cet univers parce que je voulais utiliser les matériaux, pas parce que j’avais une grande expérience dans ce domaine. Quand vous étudiez le cinéma, vous vous rendez vite compte que les débuts du cinéma étaient une époque incroyable. On créait très librement, notamment parce que le vocabulaire cinématographique n’avait pas été développé. Donc les artistes essayaient tout : même au milieu d’un film narratif, on pouvait trouver une séquence expérimentale.

Edge of Alchemy semble être une réflexion poétique sur votre propre position d’animatrice et de cinéaste ?

Night Hunter, Edge of Alchemy mais aussi le film sur lequel je travaille en ce moment, traitent tous du processus créatif. Le propos est assez large et ne se limite sûrement pas à l’animation. Il pourrait sans doute s’appliquer au peintre, à l’écrivain ou au poète. Je voulais transmettre ce sentiment douloureux, d’un monde qui s’effondre et de la tentative d’en faire quelque chose, ici un film. Et puis, il y a ce personnage de Mary Pickford essayant de contrôler son environnement. Par ailleurs, dans cette créature de Frankenstein, il y a l’idée d’un être entre la vie et la mort qui se rapproche aussi d’une idée de la parentalité. Il y a la fragilité mais aussi la responsabilité ressentie face à un individu qui conserve son identité propre. Et c’est exactement la même chose pour la création. Quand on fait un film, il acquière sa propre vie. Ce n’est rapidement plus le vôtre. Le spectateur est libre d’y prendre ce qu’il souhaite, et chacun y voit quelque chose de différent. Ainsi, on me communique souvent des interprétations auxquelles je n’avais pas pensé.

Edge of Alchemy

Pour finir, vous avez également mentionné l’ONF lors de votre présentation, pouvez-vous m’en dire plus sur vos inspirations canadiennes alors que votre exposition est présente jusqu’en octobre dans la salle McLaren de la Cinémathèque québécoise ?

Avant même de m’intéresser au cinéma, je regardais The International Tournée of Animation. C’était un programme qui réunissait des films du monde entier de la Russie à la République tchèque en passant par le Royaume-Uni et la Pologne. Il y avait toujours des films faits par des petits studios ou des animateurs indépendants. C’était un travail vraiment impressionnant et extrêmement expressif. Ce programme axé sur les artistes m’a fait prendre goût à des formes d’animation que je trouvais très expressives. Chaque style était différent, et j’ai fini par reconnaître certains animateurs comme Caroline Leaf ou Paul Driessen. Ces personnes ont toutes travaillé à l’ONF à un moment ou un autre. C’est ce qui a construit ma personnalité visuelle alors que je baignais dans le cinéma expérimental et que ce dernier ne considérait pas vraiment l’animation. Elle n’était ni assez bizarre, ni assez conceptuelle pour les cinéastes expérimentaux de l’époque. Il s’agissait pour eux de formes narratives trop classiques. Ils posaient un regard condescendant sur mon travail, qu’on jugeait mignon en me tapotant métaphoriquement la tête. L’animation à cette époque, c’était comme jouer de l’accordéon. Si vous étiez un animateur, vous ne saviez pas vraiment jouer d’un instrument et restiez une source de moquerie. Le petit comique seul dans son coin c’était l’animation.

L’exposition Night Reels occupe les salles Norman-McLaren et Raoul-Barré de la Cinémathèque québécoise du jusqu’au 17 octobre. Les trois films les plus récents de l’artiste Phantom Canyon (2006), Night Hunter (2011) et Edge of Alchemy (2017) y sont présentés en intégralité. DÉTAILS ICI

Dans le cadre de la carte blanche de l’artiste, il reste une projection à venir :
The Wind, le 24 septembre à la Cinémathèque québécoise.

Les deux premiers films de la cinéaste, Watunna (1990) et Totem (1999) sont disponibles sur sa page Web.

L’exposition Night Reels


24 septembre 2021